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718 REVUE DES DEUX MONDES. clair dans la vie, Maurice, j’ai senti que, pour échapper au désespoir, je n’aurais qu’un refuge, le talent, la réputation, la gloire peut-être... Je croyais que cela suffirait, que cela pourrait remplacer tous ces biens qui sont le patrimoine com- mun des plus misérables, et que le hasard m’a refusés à moi, l’intimité de la famille, les douces habitudes du foyer, les douleurs bénies des mères Mau- rice, je m’étais trompée; rien rien ne remplace cela Vous ne pouvez sa- voir, mon ami, ce que je sens là, quand je rencontre une mère qui conduit son enfant par la main, et quand je vois les passans leur sourire avec respect.... MAURICE . Si c’est votre cœur qui parle, Madeleine, j’ai été injuste, c’est vrai , et je vous prie de me pardonner. MADELEINE. Si c’est mon cœur! hélas! en doutez-vous? Ne voyez- vous pas que je suis ren- due? Il y a long-temps déjà que cet orage gronde et me menace Il a éclaté enfin Je suis foudroyée Oui, il y a long-temps mais je continuais de ▼ivre par routine.... A présent, je ne puis plus. (Elle se rassied.) MAURICE. Madeleine, ce n’est qu’une crise qui passera, croyez-moi. MADELEINE. Non , non, il faut que je m’arrête ici , n’importe comment.... Ne comprenez- vous pas que je serais forcée de mériter l’opinion que vous vous étiez faite sur mon compte, de combler à force de folies, d’étourdissemens, d’infamies, le vide qui est béant devant moi!... J’ai plus d’intelligence qu’il ne m’en faudrait, voyez- vous.... Si un honnête homme ne me tend pas la main, c’en est fait; de quelque côté que je me tourne, c’est l’abîme; je suis bien véritablement perdue! Je n’ai plus à dissimuler avec vous, Maurice, répondez-moi avec loyauté. Voulez-vous me sauver? Pouvez-vous m’aimer? MAURICE, Cela est sérieux, Madeleine, n’est-ce pas? MADELEINE. Pardié! si c’est sérieux. MAURICE. ,, Écoutez-moi donc : l’idée de ramener au bien une femme égarée et digne d’amour est, de toutes les illusions que votre sexe fait naître, la plus commune peut-être, la plus généreuse et la plus décevante. L’entreprise en a été sou- vent tentée, et à peu près aussi souvent rompue par un éclat de rire. Je com- prends l’inutilité de ces efforts, parce que je sais combien de conditions rares devraient se rencontrer à la fois pour les faire réussir; je sais tout ce qu’il fau- drait dans un cœur d’homme de tendresse, de courage, de bonté, tout ce qu’il faudrait en même temps chez une femme de résolution persévérante, de gran- deur d’ame et d’humilité d’esprit pour mener à bien un amour de rédemption! Je ne m’abuse donc pas : c’est un rêve; c’est presque l’impossible. Écoutez en- core : je suis égoïste; j’ai acheté mon égoïsme assez cher pour y tenir; je Val payé de tant de nuits troublées, de tant d’amertumes, de tant de sanglots, que j’ai le droit de m’y envelopper désormais avec une sorte d’orgueil, et de ne m’ett dépouiller en faveur de personne. Or, vous aimer, ce serait m’abandonner de