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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/730

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— Je serai long-temps absent. Adressez vos lettres à l’état-major. Vous m’écrirez, n’est-ce pas ?

— Je vous écrirai ; je vous parlerai de George.

— Adieu !

— Vous partez ! lui dit-elle en souriant. Vous avez été bien bon pour moi et pour lui, ajouta-t-elle en montrant son fils !… Regardez donc, n’est-ce pas un ange ?

Puis, comme il revenait sur ses pas pour la voir encore :

— N’éveillez pas George !

Ce fut là tout l’adieu que reçut Dobbin des lèvres roses de la jeune veuve, amoureuse et fière de son idole. Voilà ce qu’avait gagné le fidèle Dobbin partant pour les Indes orientales, Dobbin qui aimait si tendrement Amélie et l’environnait d’une protection si adorable et si dévouée. Cruelle sublimité de ces cœurs féminins ! Les petits doigts roses de George serrèrent machinalement la grosse main du major ; Amélie, rayonnante et épanouie d’amour maternel, arrêta sur lui un regard plein d’une joie sans bornes, regard qui le blessa jusqu’au fond de l’ame. Il se baissa vers l’enfant et la mère, sans avoir la force de prononcer un mot ; enfin il put dire : « Dieu vous bénisse ! » et il se retira d’un pas tremblant et appesanti.

— Prenez garde, reprit la cruelle, vous allez l’éveiller ! Elle n’entendit pas même le bruit des roues du cabriolet dans la rue ; elle regardait son George, qui souriait en dormant.

Amélie, ordinairement si douce d’humeur et si charmante de caractère, traitait bien mal ce pauvre Dobbin. Elle n’était touchée ni de sa persévérance, ni de sa générosité. Elle avait de la reconnaissance, voilà tout. Dobbin était parti pour les Indes, et jamais elle ne pensait à lui ; il aurait pu partir pour la lune sans qu’elle s’occupât de lui davantage. Vivre par les affections et pour elles, c’est le fort et c’est la grandeur de la femme, comme son malheur. Amélie offrait le type complet de ces faibles ames féminines. Elle était jalouse de son enfant, humblement disposée à se croire toujours coupable envers ceux qu’elle aimait, parfaitement indifférente pour ce qui n’entrait pas dans le cercle borné de ses dévouemens, bien élevée, mais ignorante de toutes choses, excepté de ce qui concernait la famille, et ne désirant rien savoir au-delà.

Cependant le vieil Osborne reste plongé dans son orgueil et sa misanthropie. Son fils est mort sans rentrer en grace, et l’idée que cette réparation est à jamais refusée à sa fierté s’unit pour l’irriter à la pensée que ce fils se trouve au-delà et au-dessus de son pardon. Il lui semble que le pauvre enfant est là-bas, en face de lui, par-delà le gouffre immense que personne ne franchit après l’avoir passé, et les yeux éternellement et tristement fixés sur son père. Il n’est pas seulement