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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/731

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affligé, il est furieux ; George ne lui a pas demandé la permission de mourir. Toute la maison porte le deuil ; les volets extérieurs sont fermés, plus de bals, plus de dîners, plus de fêtes ; on n’accepte aucune invitation ; cet intérieur, aussi lugubre que celui d’un despote oriental, devient épouvantablement funèbre, et le père dirige un beau jour sur Bruxelles, où il cherche, sans que personne s’en doute, quelques traces vivantes de ce fils ingrat et dénaturé. Dans le petit cimetière de Lacken, séparés par une haie d’aubépines des sépultures catholiques, on a déposé les restes mortels du capitaine George Osborne, séparation qui humilie profondément l’habitant de la Cité. Un fils d’Anglais, de commerçant riche, un officier de l’armée britannique, un membre de l’église anglicane établie, ne pas avoir le droit de reposer à côté des papistes de Lacken ! Dobbin, qui n’était pas encore parti pour l’Inde et qui le rencontra dans ces parages, prit mal son temps pour essayer de l’intéresser à la pauvre veuve. Osborne le père était remonté dans sa voiture, où il se tenait fièrement, les bras croisés sur sa poitrine. Dobbin à cheval courut après la voiture.

— Monsieur Osborne ! cria-t-il en mettant la main sur la portière. Osborne, au lieu de répondre à Dobbin, s’adressa au laquais assis auprès du cocher :

— Dites à ce drôle d’aller plus vite… Sacrebleu !… plus vite !

— Monsieur, reprit Dobbin en éperonnant son cheval, j’ai à vous parler.

— De la part de la femme qui a séduit mon fils ?

— Non, de la part de George.

Le père s’enfonça dans la voiture ; Dobbin, à cheval, le suivit en silence et descendit après lui à la porte de l’hôtel où Osborne était logé.

— Quelle communication avez-vous à me faire, s’il vous plaît, capitaine ? ou plutôt major, car c’est votre grade. Les braves sont morts pour vous faire place.

— C’est vrai, répondit Dobbin tristement. J’ai à vous entretenir de l’un de ces braves.

— Ne soyez pas long alors, sacrebleu !

Je suis son meilleur ami et son exécuteur testamentaire. Savez-vous qu’il est mort bien pauvre, et que sa veuve est restée sans ressources ? Je ne connais pas sa veuve, je ne veux pas la connaître. Qu’elle retourne chez son père.

Dobbin répliqua doucement ; il était parfaitement résolu à ne pas se fâcher ; Osborne ne l’était pas moins à avoir raison. Il avait raison envers et contre tous. Il exagéra donc sa bonté pour son fils, les torts de George envers lui-même, cria, pérora, argumenta, finit par dire qu’il ne manquerait jamais à sa parole, et qu’il avait juré de ne plus