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force, à ces cris incohérens des passions mauvaises ou bonnes dont nos oreilles sont maintenant assourdies, peuvent succéder bientôt des débats plus élevés, où la pensée reprendra et sa place et son rôle. Chacun, dans sa sphère et dans son parti, s’aperçoit que la besogne dévolue aujourd’hui à l’intelligence humaine est immense et originale. De l’aveu de tout le monde, aucun des vieux systèmes, aucune des théories qui étaient en vogue il y a un an ne suffit plus à nous faire vivre, et à l’heure même où ces ressources nous échappent, nous nous trouvons placés, par la révolution, à un point de vue d’où les grands problèmes moraux et, politiques nous doivent apparaître sous un jour plus vif et plus vrai.

L’un de ces problèmes, et celui qui me semble contenir d’une certaine manière tous les autres, c’est celui des croyances, et par croyances j’entends la foi politique et la foi religieuse, d’où découlent naturellement les notions de devoir et de droit. Que l’on envisage cette vaste question les yeux tournés vers l’avenir ou vers le passé, que l’on regrette les vieux dogmes ou que l’on espère en de nouveaux principes, on ne peut contester que l’œuvre principale de ce temps-ci ne soit le rétablissement de ces convictions fortes sans lesquelles il n’y a point de volontés droites ni fermes. L’on ne croit guère à la royauté, puisqu’on la laisse tomber en quelques heures sans la défendre ; on croit faiblement à la république, puisqu’on l’entoure, à son origine de défiances et d’entraves ; on croit bien froidement à la théologie de l’église, car les devoirs catholiques ne sont plus guère pratiqués dans leur sévérité que par les enfans et les femmes ; enfin, on croit fort timidement à la philosophie, car on ne remarque ni enthousiasme ni zèle autour des chaires où elle enseigne. Serait-ce que la vieille théologie catholique a cessé d’être féconde, et que la philosophie n’est point encore nubile ? Quoi que l’on puisse répondre, il est toujours vrai que l’idée de devoir a reçu de rudes atteintes, j’oserai dire de tous les partis qui ont gouverné depuis un quart de siècle, et que le scepticisme politique et religieux a fait des progrès manifestes pour quiconque ouvre les yeux. On en trouverait la preuve jusque dans ceux des événemens contemporains qui semblent le plus empreints d’énergie et de dévouement. Les partis se sont rencontrés en armes sur le terrain de l’économie politique et des intérêts matériels ; mais, par un contraste frappant avec les traditions constantes de la France, les idées, les principes, les croyances morales et politiques n’ont joué, au milieu de ces conflits, qu’un rôle secondaire et sans éclat, et, le lendemain de toutes ces batailles, les esprits retombaient dans une triste indifférence, qui est le trait principal de l’époque où nous sommes.

Cette indifférence, exceptionnelle dans l’histoire de ce pays, ne règne point seulement dans telle ou telle partie de la société ; elle est descendue