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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/77

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cette déviation de l’esprit public, et, finalement, le gouvernement de 1830 a été puni du bien qu’il avait fait et du mal qu’il n’avait pas fait. M. Duchâtel attribue en partie à ces inévitables conséquences d’une centralisation excessive, l’immense facilité avec laquelle s’est propagé dans les départemens le mouvement de février.

Parmi les naufragés politiques de 1848, le prince de Metternich est celui qui faisait à Londres la plus grande figure. Son hôtel d’Eaton-Square a pas cessé d’être, cet été, le pèlerinage à la mode pour tout ce que le kigh life britannique renferme de plus blasonné et de plus exclusif. Le prince ne donnait pas de fêtes. « Je n’ai que ma maison de voyage, disait-il négligemment, et sa maison de voyage consiste, par parenthèse, en une véritable armée de valets. L’exil ressemble effectivement pour lui bien plus à un voyage qu’à une déchéance. On l’oublie un peu trop chez nous : en Angleterre, comme à Vienne, M. de Metternich reste l’homme d’état le plus influent et le plus consulté de la politique monarchique. Du fond de sa retraite, il dirige la cour d’Autriche, qui ne fait rien sans son aveu, conseille le czar, avec qui il entretient une correspondance suivie, pousse les tories par le duc de Wellington, et exerce même une assez grande influence sur les whigs par lord Palmerston, qui le voit fréquemment, sans toutefois afficher des rapports trop directs avec lui. M. de Metternich prend son rang en conséquence. Il ne rend pas les visites qu’on lui fait et ne se départ de ce rigorisme essentiellement germanique qu’à l’égard du duc de Wellington, son ami. La pairie anglaise ploie d’assez bonne grace son orgueil devant ces façons princières ; la curiosité y aide d’ailleurs un peu. Chacun voudrait surprendre un mot, un aveu au sphinx de la diplomatie, absolutiste, d’autant plus que le sphinx s’est fait quelque peu jaseur en vieillissant. M. de Metternich pose déjà volontiers pour la biographie ou l’histoire. Tout en gardant un immense rôle dans la politique active, il la juge presque avec le désintéressement d’un acteur retiré, et ne dédaigne même pas de livrer aux profanes le secret de la rampe. On lui demandait un jour comment il avait réussi à tenir constamment en échec les hommes d’état les plus habiles : — En disant toujours la vérité, » répondit-il. Le mot, s’il n’est pas flatteur pour la diplomatie, l’est peut-être un peu trop pour le vieux diplomate. Il n’y a, du reste, ici qu’une simple réserve à faire, M. de Metternich avait presque toujours le soin de dire la vérité ; seulement il ne disait jamais toute la vérité, se ménageant ainsi à la fois les honneurs de la sincérité et les profits de la diplomatie. Ce système de restrictions mentales est celui dont il usait le plus volontiers à l’égard des chargés d’affaires de certains petits gouvernemens allemands dont il redoutait dans les grandes complications européennes, l’humeur brouillonne, et qu’il ne voulait pas cependant s’aliéner en paraissant traiter en dehors d’eux.