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propagande de raillerie et de scepticisme ne devînt point énervante et périlleuse en se prolongeant, et qu’après avoir porté de si rudes coups aux théologiens, elle ne finît pas par éteindre dans le cœur des populations la foi et jusqu’à la puissance de croire. Comment, en effet, ne pas remarquer avec douleur, comment ne pas déplorer amèrement l’influence toujours active de ce rire universel, qui continue de ruiner l’un après l’autre tous les principes de croyance, et qui brise ainsi l’élan des natures les plus généreuses ?

La révolution de 89 a ouvert au voltairianisme d’innombrables voies à travers le pays tout entier, dans le peuple comme dans la bourgeoisie. Bien que cette révolution fût un progrès de la morale chrétienne, un effort de la fraternité évangélique pour passer du domaine de la conscience dans la constitution de la société elle-même, et comme l’épanouissement de la fleur dont l’église nourrissait depuis dix-huit siècles le précieux germe, les révolutionnaires de 89 niaient ouvertement le christianisme : ils cultivaient avec amour, ils couvaient de leurs pieux regards cette fleur éclose, mais ils déclaraient que le tronc de l’arbre était épuisé, incapable de produire désormais. Le scepticisme lui enlevait, en effet, un dernier reste de sève ; mais le fruit à son tour se flétrissait avant d’atteindre à la maturité, lorsqu’il n’eût peut-être fallu, pour rendre à cet arbre antique une fécondité vigoureuse et éternelle, qu’en émonder les branches. La révolution, en adoptant la morale chrétienne, frappait donc le dogme, et, sans le vouloir, elle épuisait, elle rendait pour long-temps impossible cette foi chaleureuse sans laquelle le bon sens ne sait plus que faire de sa virilité. C’est en vain que, depuis la révolution, sous trois gouvernemens successifs, le christianisme a essayé de reprendre racine dans les consciences travaillées par un déplorable besoin de critique et de raillerie : la théologie a cessé d’avoir prise sur les intelligences, et, ce qui est un malheur plus grand, le sentiment religieux s’est insensiblement affaibli avec elle au point où nous le voyons tombé sous nos yeux.

Quant à la foi politique, elle était nécessairement atteinte par le scepticisme dont la foi religieuse était frappée, et l’esprit révolutionnaire, établi en permanence, accumulant ruine sur ruine, faisant succéder l’une à l’autre, dans l’espace d’un demi-siècle, toutes les formes de gouvernement, n’était pas de nature à rétablir ce respect de la loi qui fait la force des institutions. La classe, naguère énergique et forte, aux mains de laquelle la révolution avait mis le pouvoir, la bourgeoisie, s’est trouvée ainsi en quelque sorte énervée au moment même où son règne commençait. Tandis que la vieille noblesse, déroutée par l’esprit moderne et ne comprenant plus rien aux choses du siècle, s’enfermait dans une vaniteuse oisiveté, et que les populations laborieuses travaillaient sans se préoccuper des affaires publiques, mais non sans