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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/818

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qui n’a pas pour maître un musulman ne doit être qu’un champ de bataille. Eh bien ! aujourd’hui la terre de l’islam elle-même est devenue la propriété de l’infidèle, la maison de la guerre est pleine d’ouvriers musulmans, d’ouvriers pacifiques, et ces hommes soupçonneux, qui, autrefois, n’osaient confier leur argent qu’à la terre, le laissent sans crainte entre les mains de leurs nouveaux maîtres. Dans la province de Constantine, les chefs influens ont plus d’une fois manifesté l’intention de s’associer à des spéculations européennes. Les communications sont plus sûres et plus faciles qu’à aucune autre époque sur les principales routes ; les indigènes qu’on rencontre aujourd’hui ne sont plus, comme autrefois, d’effrontés maraudeurs : ce sont des soldats disciplinés qui guident et protégent le voyageur pendant le jour, et lui offrent un gîte pour la nuit ; qui, au passage d’un détachement français, courent à leurs fusils et s’alignent au port d’armes devant le poste pour recevoir et rendre les honneurs militaires.

Sur les routes qui conduisent à Alger, on rencontrera encore des Hadjoutes, non plus rapides et terribles comme à l’époque où ils ensanglantaient la Metidja, mais patiemment voiturés dans une diligence ou un omnibus, et familièrement abandonnés au milieu des Européens. Il y a sept ans, il fallut une expédition en règle pour forcer le col des Mouzaïa : aujourd’hui, on trouvera au milieu de ces farouches montagnards une exploitation de mines, un village européen, et des Kabiles employés aux travaux. Beaucoup d’indigènes apprennent notre langue ; les notables de Constantine fréquentent les cours publics ; les Maures d’Alger envoient leurs filles dans nos écoles. Dans les provinces du centre et de l’ouest, où on a entrepris de construire des villages pour des tribus fidèles, on trouve beaucoup d’Arabes disposés à faire l’apprentissage de la vie sédentaire. Enfin, ces mêmes hommes qui nous recevaient autrefois à coups de fusil se cotisent aujourd’hui pour faire bon accueil aux Européens. Les dernières dépêches reçues d’Algérie nous apprennent qu’à Cherchel les indigènes ont voulu s’associer à une fête préparée pour l’arrivée des colons, et qu’un vieil agha a donné l’exemple en souscrivant pour 500 francs.

Ce tableau de l’assujétissement des indigènes nous a fait connaître le milieu dans lequel s’est développé l’élément colonial. Il nous reste à exposer le mécanisme de l’administration civile, et à décomposer le budget algérien de manière à mettre en évidence la situation financière de l’entreprise. Lorsqu’on aura suivi dans toutes les directions la marche des faits dont l’Algérie a été le théâtre depuis dix-huit ans, on se rendra aisément compte des difficultés du présent et des besoins de l’avenir.


ANDRÉ COCHUT.