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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/836

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plus. L’écrivain qui a de sa dignité personnelle une idée assez juste pour ne rien vouloir ni en-deçà ni au-delà, mêle sans cesse la crainte de faire mal au désir de bien faire, et cherche sa conscience littéraire dans le sentiment de l’exigence publique ; il pourra s’abuser sur son œuvre ou sur sa force ; il ne jouera jamais ni du contrôle qui mesure cette force, ni de la curiosité qui attend cette œuvre. L’homme qui se divinise, au contraire, n’aura jamais de ces doutes et de ces craintes ; c’est bien le moins, quand on se croit dieu, qu’on se croie infaillible. Comment s’imaginerait-il pouvoir faire quelque chose d’inférieur aux conditions de son talent, aux promesses de sa renommée ? Le privilège de la divinité, c’est d’être toujours égale à elle-même, et l’on n’a que faire de se préserver des faiblesses, lorsqu’on possède, pour les cacher, ce nuage d’or dont parle Homère. À quoi bon se respecter ? le respect est une précaution : et contre qui se précautionner ? contre soi ? on est dieu ; contre les autres ? ils s’agenouillent.

Hâtons-nous de le dire, ces réflexions chagrines seraient bien injustes, si nous voulions les appliquer à l’auteur de Louison. L’extrême justesse de son esprit, parfois évaporé, parfois insouciant, jamais faux, l’a garanti de cette contagion raphaélesque et olympienne ; mais peut-être est-il tombé dans l’excès contraire, peut-être n’a-t-il pas toujours de sa personnalité littéraire ce soin qui fait partie de l’hygiène morale, et qui est à la vanité ce que l’élégance native est à la recherche efféminée. Quelle source d’observations mélancoliques ne trouverait-on pas dans ce contraste ! Hélas ! glorification et insouciance, apothéose et abandon, partent du même principe. C’est qu’aujourd’hui ce n’est pas l’art qu’on aime ; c’est que les hautes intelligences se dégoûtent de ces joies austères qu’on rencontre dans l’exercice de la pensée, dans l’emploi de facultés brillantes au service du vrai, à la recherche du beau. Ces jouissances sublimes sont trop maigre chère pour les génies modernes ; il leur faut des satisfactions plus friandes, qui chatouillent plus agréablement la sensualité de leur orgueil. Le beau, le vrai, n’existent plus pour eux qu’à la condition d’entrer dans le cercle lumineux que tracent leur rêverie et leur gloire. Cette vérité ou cette beauté qui les avait passionnés d’abord se mêle si intimement à leur propre personne, qu’ils ne les séparent plus. Alors, s’ils ont reçu du ciel ce don d’optimisme personnel, ce contentement solide et carré que rien n’ébranle et qui leur persuade que le plus noble exercice du talent est de se servir perpétuellement à soi-même d’idéal et de modèle, ils se formulent en œuvres superbes d’où l’art et le goût sont absens, mais où l’auteur apparaît à chaque page. S’ils ont assez d’esprit, de finesse et de tact pour comprendre tout ce qu’il y a de misérable et de stérile dans cette idolâtrie du moi se substituant à la religion de l’art, ils se détournent également de l’art et du moi ; ils passent à la période du désenchantement et de la nonchalance. Mais que disons-nous ? Des natures bien douées peuvent-elles s’attarder long-temps dans cette phase ? Et, en insistant, n’aurions-nous pas l’air de donner raison à ces critiques charitables qui se hâtent de proclamer la décadence du poète, sans doute pour s’indemniser de la violence qu’ils s’étaient faite en rendant hommage à ses triomphes ? Pour nous, si nous avens parlé de Louison avec autant de franchise, c’est parce que nous aurions cru, par des réticences ou des subterfuges, manquer à la vive sympathie que nous inspire M. de Musset, c’est parce qu’un talent aussi pur et aussi vrai repousse la flatterie ; c’est, enfin, parce que nul ne nous sembla jamais plus capable d’écrire la comédie contemporaine,