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tisme honnête, il y avait des passions généreuses jusque dans leur aveuglement, y avait le besoin national d’une revanche. Ce n’était pas une infime minorité qui montait à l’assaut d’une place ouverte par la plus inexplicable des défections ; l’immense majorité du pays était derrière les combattans, et les combattans le sentaient. Entre le souvenir de ces heures d’enthousiasme sincère et le souvenir des heures fiévreuses de 1848, il n’y a rien de commun pour nous. Ce qui revient tout de suite à notre mémoire, quand nous l’interrogeons pour lui demander les images qu’elle a gardées de cette récente époque, c’est l’aspect des demeures royales saccagées et bouleversées par la justice du peuple. Nous n’oublierons jamais ce spectacle sauvage, ces appartemens souillés, ces lits infectés d’orgies ignobles, ces parquets jonchés de débris, ces meubles forcés, ces lettres de famille foulées comme litière sous les talons ferrés, ces cadres magnifiques éventrés, ces toiles rares, ces œuvres des maîtres qui ont illustré la France déchiquetées par une rage stupide, et partout cette horrible odeur de vin et d’eau-de-vie, et trônant dans cet enfer, ces sauveurs de la patrie harnachés par-dessus leurs blouses de tout l’équipement des laquais du roi. Se rappelle-t-on combien il fallut parlementer avec ces vaillans soldats pour les décider à vider les Tuileries, où ils campaient comme au chef-lieu de leur conquête ? Il est vrai qu’on nous dit : Le peuple était maître, il a respecté vos maisons et vos têtes ; le peuple vous a fait grace ! Un oracle rouge signifiait encore hier aux ambassadeurs étrangers cet avis salutaire et les avertissait de prendre garde à une rechute. La belle manière de vanter les gens que de les glorifier parce qu’ils n’ont été ni des voleurs ni des assassins, et que le vrai peuple doit se tenir honoré d’un pareil compliment !

Ce sont probablement toutes ces considérations réunies qui ont déterminé M. Portalis à proposer des réjouissances solennelles pour le 24 février. M. Portalis abonde en idées originales, et nous trouvons d’ailleurs assez naturel qu’il soit reconnaissant à la république d’avoir fait un grand citoyen d’un ex-baron monarchique. Oui, M. Portalis fut tout un jour un grand citoyen, le jour où face à face avec M. Crémieux il montra qu’il tenait moins à son titre de procureur-général que le ministre à son portefeuille. On était encore dans le bon temps, et M. Crémieux passait pour un des hommes qui s’étaient le plus dévoués à la patrie : il y avait du mérite à le vaincre en sacrifices. Quel malheur que l’anniversaire de la révolution n’ait pu venir dès ce temps-là ! L’idée de M. Portalis eut été plus féconde, parce qu’elle serait tombée dans des mains moins désintéresses et plus complaisantes. Ceux qui étaient les pères de la république, et auxquels on disait sans cesse que leur fille était laide, n’avaient d’autre souci que de la parer. Les somptueuses cérémonies que nous avons alors contemplées : fêtes des victimes, fêtes de la fraternité, fêtes de toute espèce, pompes mythologiques, bœufs aux cornes dorées, faisceaux romains portés par des licteurs en tricorne et en chapeau rond ! Que d’émotions diverses, et comme M. Flocon était dans le vrai quand il s’écriait qu’on n’effacerait point la révolution de la mémoire du peuple ! Le peuple pourrait-il oublier ces journées carnavalesques, qui le consolaient du travail et du pain qu’on lui avait ôtés ? M. Faucher, qui n’était pas du coup de main de février, n’avait vu dans l’anniversaire de cet exploit qu’une occasion de prier pour l’ame de ceux qui le payèrent de leur vie ; c’était un devoir que tout bon chrétien pouvait aimer à remplir, rien de plus. La vraie fête