ont produit ce réveil de l’esprit national sur tant de points différens, chez les Croates de l’Illyrie et chez les Tchèques de la Bohème, chez les Bretons de l’Irlande et chez les Flamands de la Belgique ? Comment suivre les influences diverses qui ont défiguré ce naïf travail de la conscience populaire en voulant le détourner à leur profit ? Comment juger enfin ces réclamations inattendues ? Toutes ces protestations n’ont pas la même valeur ; il y en a de légitimes, et il y en a de factices ; parmi celles-là même dont on ne conteste pas la sincérité, il en est contre lesquelles des droits contraires, des droits plus hauts et plus sacrés, élèvent une prescription absolue. Au nom de quels principes supérieurs déterminer ces différences ? Sur ce point, hélas ! comme sur bien d’autres, notre siècle semble destiné aux plus étranges contradictions nous ne parlons que de fraternité universelle, nous proclamons que les barrières s’abaissent entre les peuples : nous les abaissons en effet, et, comme pour confondre notre orgueil ou railler nos espérances, chaque jour une nationalité nouvelle ressuscite, chaque jour une nation disparue, une province anéantie, une tribu dispersée élève soudain la voix et veut refaire la carte du globe.
Un esprit droit ne blâmera jamais ce respect de la tradition. Défions-nous des docteurs qui prêchent, aux dépens de la patrie, la fraternité universelle. Soit que, dans leur enthousiasme irréfléchi, ils prennent des phrases pour des idées, soit qu’ils inventent une morale chimérique pour mieux se dispenser de la vraie, il faut repousser ces théories funestes. La fraternité, d’ailleurs, bien loin de l’exclure, suppose impérieusement l’amour de la patrie. Pour être unis d’une manière sérieuse, il est nécessaire que les peuples existent sérieusement eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils soient en possession de toutes leurs forces, qu’ils se sentent vivre de toute leur vie morale dans ce sentiment fécond nommé le patriotisme. — Intelligente fraternité, vraiment, qui n’associerait que des fantômes de peuples ! unité merveilleuse, qui ne serait que la promiscuité et le chaos ! C’est là, si je ne me trompe, la clé du problème, c’est le point où se concilient les deux tendances contraires de notre siècle : l’une qui nous pousse vers l’unité et fait briller à nos yeux la grande assemblée du genre humain ; l’autre, pour laquelle il n’y a point de patrie trop petite et qui nous ramène avec une force irrésistible vers la sainte tradition du foyer. On ne saurait nier cependant que les réclamations du patriotisme cessent d’avoir un droit véritable, quand elles ne tiennent compte ni des changemens consacrés par une prescription séculaire, ni des droits nouveaux qui résultent des révolutions de l’histoire. Personne ne confondra la sombre fureur d’un peuple opprimé de la veille avec cette agitation factice qui se propose de réveiller après mille ans une langue et une littérature évanouies. D’un côté, il y a toute une nation qui souffre ; de l’autre, je ne vois que des efforts isolés,