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1830, ce petit peuple belge, chez qui le sentiment patriotique, souvent endormi, est plus tenace qu’on ne croit, craignit d’avoir renverse la domination hollandaise pour se soumettre à une influence plus redoutable. L’esprit français avait des partisans nombreux ; le seul moyen de les combattre, pensait-on, était de réveiller l’esprit flamand. C’est ainsi que le lendemain d’une révolution, accomplie, entre autres motifs, à cause de la différence des langues, les vainqueurs revenaient avec un empressement singulier à cette langue flamande ou hollandaise qu’ils maudissaient la veille. M. Conscience, Français d’origine, et dont les premiers débuts avaient été des poésies françaises, était cependant trop dévoué à son pays pour ne pas s’associer avec ardeur à cette petite insurrection nationale. Si la croisade flamande n’atteste pas une très sérieuse intelligence des choses politiques, elle est digne d’intérêt au point de vue de l’art, et je ne m’étonne pas que de tendres et poétiques natures se soient enrôlées sous ses drapeaux. D’ailleurs, ce n’était pas seulement le vieil idiome des Flandres qui était en cause, c’était aussi le parti ultramontain, l’irréconciliable ennemi de la pensée française. L’esprit national et le fanatisme religieux associant ainsi leurs griefs et leurs espérances, la cause flamande se constitua rapidement, fit de nombreux prosélytes, et suscita bientôt toute une littérature. Exilé de la maison paternelle et en proie aux soucis de la misère, M. Henri Conscience fut heureux de cette consolation subite que lui présentait la fortune. Se dévouer à cette cause, c’était donner un but à sa jeunesse désolée et défier l’injustice du sort. Il ne se demanda pas si la liberté de son imagination ne serait pas compromise par les étroites doctrines d’un parti jaloux ; il prit la plume, et, s’appliquant dès-lors à la vieille langue nationale pour lui donner la forme littéraire, il résolut de consacrer dans cet idiome les grandes époques de l’histoire des Flandres.

Le premier roman de M. Conscience est intitulé l’Année des Miracles (Wonderjaer). C’est une intéressante étude sur la période espagnole de la Belgique, une étude plutôt qu’un roman, une esquisse plutôt qu’un tableau. Je serais bien surpris si M. Conscience n’avait pas lu avec soin les contes de Mérimée. Son Année des Miracles présente de curieuses ressemblances, pour la disposition et les allures du récit, avec la Chronique sous Charles IX. C’est une série d’épisodes au milieu desquels se déroule sous mille aspects la vive image d’une brillante et dramatique époque. Hâtons-nous d’ajouter que M. Conscience, en s’inspirant du conteur français, n’a pas renoncé à l’originalité ; la grace familière des détails lui appartient bien, et, quant à la pensée générale, elle est l’expression fidèle de cette double école, patriotique et ultramontaine, à laquelle le jeune écrivain, dans sa naïve inexpérience, semblait disposé