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cette manière : le dernier acte du drame pouvait lui offrir des couleurs plus vives et de plus énergiques peintures ; mais pour la finesse de la pensée, pour l’interprétation des événemens, aucune époque ne valait celle qu’il a choisie. Quand on a lu ces intelligentes études sur les commencemens de l’insurrection, tout ce qui va suivre se devine, tous les résultats de la lutte sont expliqués d’avance ; on voit comment les vainqueurs seront expulsés et comment l’exaltation espagnole, survivant à la défaite de Philippe II, restera maîtresse des Flandres.

N’y a-t-il pourtant aucune réserve à faire ? Ce début m’inquiète, je l’avoue ; je crains que la théocratie belge, s’emparant du jeune écrivain, ne défigure bientôt les naïves inspirations de son ame. Si M. Conscience n’a voulu que présenter une explication dramatique de l’un des faits les plus curieux de l’histoire des Flandres, il y a parfaitement réussi ; s’il a cru devoir donner des gages à l’école théocratique et servir ses prétentions insensées, il s’est engagé dans une voie dangereuse. Quoi qu’il en soit, l’Année des Miracles fut accueillie avec beaucoup de faveur ; cette vive peinture était faite pour charmer l’esprit flamand. L’Allemagne, empressée à tirer parti de cette renaissance quasi-germanique, où son orgueil et ses intérêts pouvaient trouver leur compte, distingua aussitôt le jeune romancier, et le Wonderjaer, traduit en allemand, fut lu avec autant de succès qu’en Belgique. Cependant la position de l’écrivain ne s’améliorait pas. Mécontent de lui voir embrasser la profession des lettres, son père l’avait décidément abandonné à ses propres ressources, et sa détresse, déjà bien grande, allait devenir intolérable sans le dévoûment d’un ami de collège qui le rencontra par hasard et le sauva du désespoir. Il entrevit bientôt quelques jours meilleurs. Sur la recommandation enthousiaste de M. Wappers, peintre de la cour, le roi Léopold se fit présenter le jeune écrivain et lui accorda un subside. M. Conscience publia un second volume intitulé Phantasia, recueil de nouvelles et de poésies où se révèle une affectueuse douceur. Peu de temps après, il obtint une place modeste aux archives d’Anvers, et put préparer religieusement son grand ouvrage, le roman vraiment original qui a fait sa réputation, et qui reste jusqu’ici son plus beau titre, le Lion des Flandres.

Le lion des Flandres est ce comte Robert de Béthune qui s’illustra au XIIIe siècle par son courage et sa témérité chevaleresque, celui qui suivit à la conquête de Naples l’intrépide frère de saint Louis, celui enfin qui, présent au supplice de Conradin, sentit son cœur se révolter, et, frappant d’un coup d’épée le juge de Charles d’Anjou, le jeta mourant au pied de l’estrade « pour avoir osé, vilain qu’il était, condamner à mort un si gentil seigneur. » Le père de Robert de Béthune, Guy de Dampierre, était comte de Flandre et l’un des vassaux du roi de France.