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Quand les branches d’arbres sont noires,
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s’élance,
Quand, sous le manteau blanc qui vient de le cacher,
L’immobile corbeau sur l’arbre se balance,
Comme la girouette au bout du long clocher !

Le récit de M. Conscience rappelle ces vers de M. de Vigny[1], et l’habileté de la mise en scène dispose parfaitement l’esprit aux douces émotions du vieux temps. Voilà bien le conteur flamand, le romancier des froides journées d’hiver. Abulfaragus est un Juif de Bagdad, fils d’un médecin célèbre dans tout l’Orient ; c’est un seigneur de Craenhoven, le père des comtes Arnold et Hugo, qui convertit au christianisme la famille d’Abulfaragus et l’amena en Europe. Hélas ! bien des malheurs l’y attendaient. Le père d’Abulfaragus est atteint de la lèpre. M. Conscience nous donne ici un tableau dramatique et vrai de ces grandes épidémies du moyen-âge et de l’horrible abandon des victimes. Plusieurs de nos vieux poètes de l’Artois et de la Flandre ont été lépreux comme le père d’Abulfaragus ; l’un d’eux, Jean Bodel, l’auteur de la Chanson des Saxons, a raconté son malheur et dit adieu au monde dans une touchante pièce de vers intitulée le Congé. Tel est aussi le sujet de M. Henri Conscience, et cette douloureuse esquisse atteste chez lui la plus sympathique étude du moyen âge flamand.

Ce n’est pas seulement le moyen-âge que M. Conscience a reproduit avec amour ; il a consacré aussi en de gracieuses ébauches les mœurs de la Flandre nouvelle. L’ouvrage qu’il a intitulé Heures du soir (Avondstonden) est un recueil de contes, de scènes familières, destinés à entretenir dans le peuple le respect des anciens usages et le dévouement filial à la patrie. Ces contes, qui s’adressent aux humbles d’esprit, ne doivent pas être jugés trop sévèrement. Il arrive parfois que le poète, en cherchant la simplicité, n’évite pas les inspirations banales ; heureusement, la distinction du cœur ne l’abandonne jamais, et il y a là comme une candeur particulière qui recouvre tout. L’Enfant du Bourreau est une vive peinture animée par la charité la plus tendre ; la Nouvelle Niobé est un petit drame habilement conduit, d’où sort une sévère leçon. Je recommande surtout la charmante histoire intitulée Rikke-tikke-tak. Un soldat, pendant les guerres de l’empire, a perdu sa petite fille. Recueillie dans une ferme, la pauvre Léna est soumise à de pénibles travaux, aggravés encore par la dureté de la fermière ; elle n’a pour se consoler qu’un vague souvenir de sa famille et cette chanson que lui

  1. Poèmes antiques et modernes. — La Neige.