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rien à faire. La force des choses cimentera entre les deux pays cette alliance intellectuelle qu’on voudrait briser. Déjà la propagande germanique est repoussée sur bien des points ; elle le sera surtout quand la Belgique, éclairée par les discussions qu’elle traverse depuis une dizaine d’années, aura tout-à-fait secoué le joug des idées ultramontaines. Que la Flandre maintienne ses droits, que sa vieille langue refleurisse, rien de plus légitime ; cependant on peut assurer qu’elle ne dominera pas toute seule, et que l’élément wallon ne sera pas étouffé. Bien plus, si l’un de ces deux élémens devait triompher de l’autre, il ne serait pas difficile de présager la victoire. Dans les choses littéraires particulièrement, la race wallonne, plus éclairée, plus libérale, maîtresse des idées et du pouvoir, ne sera jamais détrônée par la race flamande.

M. Conscience ne saurait réfléchir trop sérieusement à la situation nouvelle de son pays et à la mission qu’il veut y remplir. Il a bien pu, dans la candeur de la jeunesse, se livrer un peu trop vite à un parti qui n’est vraiment pas le sien ; mieux instruit désormais, il n’aurait plus d’excuse. Ni le fanatisme clérical, ni l’école teuto-flamande ne fourniront à ce noble esprit le terrain solide et généreux, les inspirations franches et élevées qu’il doit rechercher avant tout. Il ne serait que le poète d’une secte ambitieuse ou l’organe des haines provinciales. D’ailleurs, ces deux partis disparaissent chaque jour devant la lumière de l’expérience et de la discussion libre. La Belgique s’est presque débarrassée de la théocratie ; elle commence aussi à ne plus être dupe de la propagande teutonique. M. Conscience fera comme son pays, et c’est ainsi qu’il sera un écrivain véritablement national. Dans son Wonderjaer, il inclinait au fanatisme ; dans quelques chapitres du Lion de Flandre, il flattait la démagogie cléricale de 1831 ; peu à peu il s’est élevé, il s’élèvera encore. Déjà, dans plusieurs de ses romans, dans ses meilleures nouvelles, dans ses méditations philosophiques, le romancier flamand a abandonné la religion agressive et mesquine du parti ultramontain pour ce christianisme pur, pour cette sublime sérénité où l’on ne sent nulle part les passions d’une secte ; il se séparera aussi en politique du parti allemand qui voudrait le tirer à soi. On nous annonce que M. Conscience publiera prochainement des nouvelles écrites en langue française : l’habile écrivain aurait bien raison de se consacrer à la fois aux deux races qui forment le fond du peuple belge ; la position qu’il prendrait ainsi serait féconde, et son nom, au lieu d’être le drapeau d’un parti, deviendrait le symbole de l’union, l’ornement de la patrie commune.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.