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et oublié que l’homme est avant tout une intelligence fécondée par le sentiment.

À l’époque où Mozart se disposait à écrire la musique de Don Juan, il avait trente et un ans. Il était arrivé à cette heure suprême de la vie d’un grand artiste où sa main, disait-il, peut écrire couramment sous la dictée de son cœur et réaliser les rêves de son génie. Son esprit profondément religieux, sa piété naïve que n’affaiblissaient même point les dérèglemens passagers où il tomba, par désespoir, dans les derniers jours de sa vie, semblaient pressentir confusément l’approche d’une révolution qui viendrait détruire tout ce qu’il adorait. Des circonstances particulières étaient venues accroître encore sa tristesse naturelle. Mozart avait perdu son père, qui mourut à Salzbourg le 28 mai 1787, à l’âge de soixante-dix ans, dans un état voisin de la misère, mais heureux devant Dieu et devant les hommes d’avoir accompli sa mission en donnant au monde le plus sublime des compositeurs. Léopold Mozart était venu visiter son fils à Vienne sur la fin de l’année 1785. Ils se virent alors pour la dernière fois. À la mort de son père chéri, Mozart écrivit à sa sœur une lettre touchante où nous avons remarqué le passage suivant : « Comme la mort, lorsqu’on y réfléchit, paraît être le vrai but de la vie ! Je me suis tellement familiarisé avec cette idée, que je ne me couche jamais sans penser que peut-être je ne verrai plus la douce lumière du jour ! » Quelque temps après cet événement, Mozart tomba assez gravement malade. Il était à peine rétabli, qu’il eut encore la douleur de voir mourir le meilleur de ses amis, le docteur Siegmund Barisani, premier médecin de l’hôpital de Vienne, dont les soins éclairés et affectueux avaient contribué à prolonger jusqu’alors sa frêle existence. Cette nouvelle perte, ajoutée à celle de son père, fit sur Mozart une impression profonde dont il a consigné le témoignage sur un album de la manière suivante : « Aujourd’hui, 2 septembre 1787, j’ai eu le malheur de perdre, par une mort imprévue, cet homme honorable, mon meilleur et mon plus cher ami, le sauveur de ma vie. Il est heureux, tandis que moi et tous ceux qui l’ont connu nous ne pouvons plus l’être, jusqu’à ce que nous ayons le bonheur de le rencontrer dans un monde meilleur pour ne plus nous séparer. »

Frappé coup sur coup dans ce qu’il avait de plus cher au monde, Mozart se sentit défaillir. Le pressentiment d’une fin prochaine envahit peu à peu son ame. Une voix secrète semblait lui dire qu’il fallait se hâter d’accomplir son œuvre. Une douce tristesse voilait son regard habituellement trempé de larmes, où se lisait le regret de la vie qui allait lui échapper dans la force de l’âge et dans la maturité du talent. C’est dans de telles dispositions qu’il partit pour Prague avec le libretto de Don Giovanni, dont il avait tracé les principales idées et achevé