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même plusieurs morceaux. Suivi de sa femme et de son collaborateur, Lorenzo da Ponte, il descendit d’abord à l’hôtel des Trois Lions sur la place au Charbon Quelques jours après, il accepta un logement dans la maison de son ami Dusseck, située à l’extrémité d’un faubourg pittoresque qui dominait la ville. C’est là, dans une chambre bien éclairée, ayant sous ses fenêtres l’aspect réjouissant des beaux vignobles de Kosohirz chargés de fruits, de parfums et de feuilles jaunissantes, où venaient expirer les rayons mélancoliques du soleil d’automne ; c’est là que Mozart a terminé le poème où gémit encore son ame immortelle. C’est pendant les heures tranquilles de la nuit que Mozart, comme Beethoven, aimait à travailler, et qu’il trouvait ses plus heureuses inspirations. Séparé ainsi du monde extérieur, débarrassé des soucis vulgaires de la vie, promenant son regard ému dans l’infini des cieux, en face de son piano et de son idéal, il s’abandonnait au souffle du sentiment qui l’enlevait sur ses ailes divines.

La composition de la troupe Bondini, pour laquelle Mozart a écrit son chef-d’œuvre, était des plus satisfaisantes. Voici quelle était la distribution des rôles : don Giovanni, signor Bassi, âgé de vingt-deux ans, belle voix de baryton, chanteur et comédien excellent ; dona Anna, signora Teresa Saporiti, voix magnifique de soprano sfogato ; dona Elvira, signora Catarina Micelli, talent d’expression ; Zerlina, signora Teresa Bondini, femme du directeur ; don Ottavio, signor Antonio Baglioni, voix de ténor douce et flexible ; Leporello, signor Felice Ponziani, basso comico excellent ; don Pedro et Masetto, signor Giuseppe Rossi. Mozart dirigeait toutes les répétitions. Il appelait chez lui les chanteurs pour les faire étudier, leur donnant ses conseils sur la manière d’exécuter tel ou tel passage, les éclairant sur le caractère du personnage qu’ils représentaient, et se montrant très difficile sur le fini des détails et la précision de l’ensemble. Il reprochait souvent aux virtuoses de presser trop les mouvemens et d’altérer par leur pétulance italienne la grace de ses mélodies. À la première répétition générale, peu satisfait de la manière dont la signora Bondini exprimait la terreur de Zerlina dans le finale du premier acte, lorsqu’entraînée par don Juan, elle jette le cri sublime de la pudeur au désespoir, Mozart quitta subitement l’orchestre et monta sur la scène. Il fit recommencer le finale à partir du minuetto à trois quarts. Caché derrière une coulisse, il attendit le passage en question, et puis s’élança tout à coup sur la Bondini, qui, fort effrayée, poussa un cri aigu. « Voilà qui est bien, dit-il ; c’est ainsi qu’il faut crier. » Quand on fut arrivé à la scène du second acte, où don Juan apostrophe la statue du commandeur qui lui répond : Di rider finirai…, ce récitatif, mesuré d’un si admirable caractère, n’était d’abord accompagné que par trois trombones. Comme l’un des trombonistes attaquait toujours faux la note qui lui était confiée,