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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/937

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la tutelle à tant de groupes imperceptibles, épars sur un immense territoire ? Trouver pour nos formes administratives une échelle de réduction en rapport avec des intérêts aussi minces, c’est un problème dont la solution n’est pas sans difficulté.

Dans l’état d’incertitude où a flotté la question d’Afrique, au milieu des aperçus nouveaux, des enseignemens imprévus, qui ont surgi à toute heure, la permanence d’un système administratif eût été l’utopie la plus dangereuse comme la plus chimérique. La seule prétention raisonnable a été celle d’importer le régime français en Algérie d’une manière progressive ; chaque mesure à réaliser a été une expérience à faire. Pendant dix ans, une omnipotence à peu près sans contrôle reste au général-gouverneur ; le pouvoir administratif oscille au hasard entre l’élément civil et l’élément militaire. Pendant les cinq années qui suivent, une multitude d’ordonnances et de décrets éclaire au jour le jour la part d’influence et d’initiative nécessaire à chacun des agens de l’autorité. L’ordonnance du 15 avril 1845 (il n’y a pas même quatre ans) trace le premier cadre d’organisation générale. On lui doit une division administrative du sol, propre à faciliter et à régulariser l’action, du gouvernement. Il existait déjà, particulièrement autour des grandes villes, des circonscriptions bien peuplées, réunissant des intérêts compactes, importantes au point de vue du commerce ou de l’industrie. Là, les services publics étaient organisés, ou du moins pouvaient l’être immédiatement, sur le modèle de la métropole ; là, les Européens vendaient, achetaient librement, avec la garantie des lois françaises, et la justice y exerçait son cours régulier. Ces localités composèrent la catégorie des territoires civils. On appela territoires mixtes ceux dont la population civile était trop faible pour autoriser les dépenses d’une administration complète. Celles-ci furent administrées, suivant la loi civile, par des militaires. La zone des territoires arabes embrassa tout le reste du pays : c’est le domaine des tribus dont nous avons fait connaître le régime et le gouvernement.

Ce classement administratif du sol algérien, qui donna incontestablement de bons résultats pratiques, présente à l’esprit un souvenir digne de remarque. Il y eut un moment, et de ce moment il y a aujourd’hui dix-neuf siècles, où la Gaule, abattue par César, frémissante encore sous l’épée romaine, fut aussi, divisée en provinces sénatoriales régies par des magistrats, et en provinces armées gouvernées arbitrairement par des généraux. On pourrait ajouter, pour compléter le contraste, qu’en tête de la liste des provinces en possession des lois romaines se trouvait celle qui est aujourd’hui notre Algérie : on lui faisait même l’honneur d’un proconsul, tandis que dix autres provinces civiles, comprenant la Sicile, la Grèce, l’Asie Mineure, moitié de l’Espagne, et enfin la Gaule narbonnaise, n’obtenaient que de simples préteurs.