Jamais, chez les humains, des appétits plus vils
N’ont soulevé les flots des orages civils.
Ce n’est plus la tempête et les combats de l’ame !
L’esprit dort : c’est la chair qui gronde et qui réclame,
La chair qui veut aussi son jour de plein pouvoir,
Et tient son bon plaisir pour règle du devoir.
L’austère liberté n’est plus le bien qu’on prise.
Aujourd’hui, ce qu’un peuple envie aux rois qu’il brise,
Oh ! ce n’est pas leur droit, leur honneur, hochet vain !
C’est leur verre plus grand et plein d’un meilleur vin ;
C’est la table et le lit, dans sa molle parure,
Où se vautre à loisir l’opulente luxure ;
Ce qu’il veut, c’est jouir, avec ses reins de fer,
Des vices somptueux qu’il abhorrait hier.
La chair est l’antre impur d’où sortent ces tempêtes,
Ces ouragans soufflés par tant de faux prophètes !
Pilote esprit divin, ne te cache donc plus !
Reviens de ton sommeil à la voix des élus ;
Que ton regard nous luise en sa douceur austère,
Et du port inconnu perce enfin le mystère !
Seigneur, nous périssons ! nos rêves décevans
Se sont fait sur la mer les complices des vents.
L’espoir qui nous portait s’use à chaque méprise ;
Nous allons renoncer à la terre promise.
Notre orgueil est à bout : le peuple harassé
Demande à revenir dans les eaux du passé,
Tout prêt à jeter l’ancre en ce port du vieux monde
Où l’arche pourrissait, tant la vase est immonde.
Or, Jésus, que la foudre avait laissé dormir,
Entend dans son sommeil supplier et gémir ;
Il se lève ; la paix sur sa face est empreinte :
« Ayez foi, nous dit-il, et vous serez sans crainte. »
Puis il commande aux flots ; le geste de sa main
Calme et fait obéir l’onde et le cœur humain.
Et l’arche du pécheur, qui porte un peuple en elle,
Voit poindre à l’occident une terre nouvelle.
VICTOR DE LAPRADE.