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Le vent, la mer ! tous deux rassemblent leur colère.
L’immensité rugit sous la nef séculaire ;
Le noir bélier d’autan du front vient s’y heurter.
L’abîme aux flancs rétifs est las de nous porter ;
Et, sur nos fronts, le ciel, voûte livide et basse,
Paraît prêt à crouler quand l’éclair le crevasse.
Là bas, à l’horizon, plongeant et surnageant,
La vague, mont noirâtre à la crête d’argent,
Roule vers le navire ainsi qu’un mur immense.
Mais, ô mer, ton courroux n’est pas notre démence !
La nature a toujours sa lente majesté.
Le flot le plus fougueux en cadence apporté
Ne se tord qu’en frappant l’obstacle né des hommes.
Le seul désordre est là, sur la nef où nous sommes.
Un craquement affreux au coup du flot répond,
Les mâts déracinés ont fracassé le pont.
Le gouvernail, funeste à la main la plus forte,
La renverse en cédant à la mer qui l’emporte.

Dés le premier éclair, dès le ciel nuageux,
La peur folle a chassé le fol entrain des jeux.
A menacer les chefs chacun met son courage ;
La haine gronde à bord aussi haut que l’orage ;
La hache fratricide y court dans chaque rang,
Et, quand la vague en sort, elle est teinte de sang.


III


Mais, ô divin pilote ! en ce lâche tumulte
Quelques hommes encor te conservaient leur culte,
Et, malgré ton sommeil, tu leur étais présent.
Ils savent la vertu de ton nom bienfaisant,
Ce nom qui, prononcé dans l’horreur du naufrage,
Te rappelle au timon et conjure l’orage.
O maître, éveille-toi ! c’est l’heure où le danger
Consterne le marin comme le passager.
Maître ! aurais-tu quitté ce navire où tout tremble ?
Ah ! c’est presque à la mort que ton sommeil ressemble !

Éveille-toi, pilote, et viens chasser l’orgueil,
Cet impur nautonnier qui nous mène à l’écueil.
Sous le vent des erreurs, des songes faux ou vagues,
Jamais les passions n’ont tant gonflé leurs vagues ;