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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/991

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passé et le passé à son tour peut nous servir de leçon, ou plutôt il n’y a ni présent ni passé : c’est toujours la même histoire qui continue et le même drame qui se dérouler M. de Barante a ouvert la voie, dans ce rapide aperçu, à une série d’études intéressantes. Qu’il nous permette de l’engager à continuer. Une histoire véritable de la convention reste à faire. Des erreurs trop accréditées appellent une réparation ; je dirai presque que la morale publique outragée l’exige. Pour l’honneur du génie politique, il importe que les hommes d’état de 1793 soient appréciés enfin à leur véritable valeur. M. de Barante nous doit cette appréciation ; nous avons le droit de lui demander de compléter et de motiver un jugement si bien porté.

Mais rechercher dans les faits d’autrefois l’exemple et la source de nos maux d’aujourd’hui, retrouver la persistance des désirs et des sentimens de la France sous les nombreuses vicissitudes de sa fortune, tout cela est utile sans doute, mais cela n’est pas encore tout-à-fait satisfaisant pour l’esprit. Puisque les principes modérés ont toujours réuni en France la quantité et la qualité des suffrages, puisque eux seuls lui ont donné quelques jours de paix et quelque éclat de prospérité, d’où vient qu’eux-mêmes n’ont pu s’y établir avec un peu de durée ? On n’a jamais pu, il est vrai, en arracher la semence ; mais l’arbre aussi n’a jamais pu pousser assez de racines pour braver un coup de vent : d’où vient cela ? Quel vice portent en eux-mêmes tous les gouvernemens même justes, équitables, même conformes au vœu public, pour se laisser enlever, sans résistance, par le premier mouvement d’opinion factice qu’une discussion de presse élève ? Pourquoi la liberté constitutionnelle a-t-elle été tour à tour désirée et regrettée par la France, jamais possédée avec suite et sécurité ? Trente ans, et trente ans de bien-être, de douceur dans les mœurs privées de justice dans les rapports publics, de nobles luttes parlementaires et d’active concurrence de richesse et d’industrie, c’est beaucoup plus sans doute que dix-huit mois de crimes et de massacres, et cela seul prouve la différence des institutions ; mais ce n’est point encore assez : ce n’est que le tiers de la vie d’un homme, et l’imagination, quand on est jeune, se fatigue à penser qu’on a en perspective quatre ou cinq gouvernemens à tuer sous soi. C’est bien pis, quand on est vieux : ce n’est pas l’imagination, c’est le dévouement qui s’épuise. Les hommes mesurent si aisément la valeur des choses par leur durée : du moment qu’on sent en soi plus de vie que dans les institutions, on se préfère assez légitimement à elles, et les intérêts privés, qui ont survécu à beaucoup d’intérêts publics, prennent de leur importance relative une idée très exagérée. Cette instabilité lasse et dessèche. Il était digne d’un esprit pénétrant, comme celui de M. de Barante, de rechercher avec soin quelles étaient ces causes de ruines secrètes et permanentes. Elles ne résident dans aucune constitution