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politique, puisque toutes ont été essayées ! Mais n’y a-t-il que des constitutions politiques ? L’état social d’un pays est-il tout entier dans l’acte écrit qui détermine et partage les pouvoirs publics ? Si l’édifice tombe, est-ce toujours la faute de ses proportions ? n’est-ce pas quelquefois celle du terrain qui le porte ? M. de Barante nous permettra bien de lui dire que nous regrettons qu’il n’ait pas donné à cette étude de notre état social et des institutions qui pouvaient en corriger les défauts une attention plus particulière. Ce regret est d’autant plus vif que son livre abonde en réflexions profondes, en observations fines, auxquelles il ne manque qu’une chose, c’est d’être données sous une forme plus systématique et d’aboutir à une conclusion plus précise.

Quel traité plus ingénieux, par exemple, que le chapitre qui porte pour titre : Des emplois publics ? L’appréciation qui y est faite du rôle des fonctionnaires publics dans notre histoire et de la place que ces fonctions tiennent encore dans nos mœurs, a un mérite de justesse qui n’est pas exempt non plus de nouveauté. Il est bien vrai, comme le raconte M. de Barante, que les fonctions publiques ont été étroitement liées, dès l’esprit politique en France. Comme c’est par l’initiative et l’appel du pouvoir royal que les classes moyennes ont franchi les barrières féodales, les fonctions publiques, qui émanaient de la couronne, ont été la première voie ouverte à la bourgeoisie vers l’influence politique. C’est sous le nom et sous le costume des gens du roi que le tiers-état fait sa première apparition dans l’histoire de France. Et comme en même temps les fonctions publiques n’étaient accessibles qu’à des études sérieuses et à des talens reconnus, comme il s’est formé de bonne heure autour d’elles des habitudes et des traditions de famille, elles sont devenues dans notre société comme le noyau d’une hiérarchie nouvelle, d’une sorte d’aristocratie du mérite ; dont toutes les portes étaient ouvertes, et où la naissance avait besoin de se légitimer pour conserver ses droits. Peu à peu, les meilleurs élémens de l’ancienne noblesse de France, tout ce qui ne s’enterrait pas, dans une stupide ignorance, au fond des provinces, où ne s’évaporait pas dans la frivolité des cours, a pris rang au service de l’état, dans l’armée, dans la magistrature, parfois même dans les finances. Les fonctions publiques étaient devenues ainsi le terrain commun où se rencontraient les fortunes héréditaires et les réputations nouvelles, où s’alliait par conséquent un certain esprit d’innovation avec les traditions conservatrices. Elles ont été pendant tout l’ancien régime l’unique foyer de la vie politique, l’unique emploi sérieux de l’activité des citoyens. C’est dans cet état, fort imparfait assurément au point de vue de la liberté, et fort altéré lui-même par la corruption du XVIIIe siècle, mais fortement ancré cependant dans les habitudes, que la révolution a surpris,