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qu’il y a des montagnes qui excèdent la hauteur moyenne sans atteindre jusqu’à la région sublime ; la végétation y cesse déjà, les neiges éternelles n’y étincellent pas encore. Leur cime reste dépouillée et nue à l’œil, dans une teinte un peu grise. Je reçois quelque chose de cette impression en lisant d’une manière continue le poème. Je n’y rencontre ni la splendeur éblouissante des Alpes ni la grace riante des collines. Il y a dans Chênedollé plus et moins que dans Delille : c’est moins gentil, moins égayé de détail, moins agréable à lire ; c’est plus grave, plus élevé, plus soutenu, aussi plus monotone. L’agrément y manque un peu, et il ne devrait jamais manquer, même dans la haute poésie : le grave n’est pas le triste, et aucun genre ne dispense le poète d’avoir de la fraîcheur, de la joie dans le style. Mais, cela dit, que de beaux vers, que de riches descriptions, que de nobles essors de pensée ! Dans le premier chant, le poète montre l’homme étudiant les cieux, et, dans le second, étudiant la terre, le globe qu’il habite ; dans le troisième chant, c’est l’homme même qui est en jeu et qui essaie de sonder sa propre nature ; dans le quatrième enfin, la société s’invente, et l’être social s’accomplit. « L’homme lève d’abord ses regards vers le ciel, il les laisse ensuite tomber sur la terre, puis il les reporte sur lui-même, et enfin il cherche quelles sont les lois sous lesquelles il vit. » Le poète a couronné tout cet ensemble par un titre suffisamment justifié : le Génie de l’Homme.

En voyant l’homme nu, réduit à sa faiblesse,
Qu’une voix nous eût dit : « Accroissons sa vitesse,
«  Qu’en franchissant les mers il vole en d’autres lieux ;
«  Qu’il soumette la foudre et désarme les cieux ;
« Qu’il dispose à son gré de l’étoile polaire ;
«  Que la foudre en ses mains, terrible ou tutélaire,
«  Frappe ses ennemis, ou, dans des jeux plus doux,
«  Perce l’oiseau léger qui fuit en vain ses coups ;
«  Que Saturne, pour lui, soit captif sous le verre ;
« Que sa pensée arrive aux deux bouts de la terre,
«  Et qu’il soit invisible et présent en tout lieu ; »
On se fût écrié : « Vous en faites un dieu ! »
Et toutefois, vainqueur d’innombrables obstacles,
Des arts, autour de lui, rassemblant les miracles,
Au sceptre social soumettant l’univers,
L’homme a réalisé ces prodiges divers !

Dans l’épisode du jeune Léon (au chant III), Chênedollé semble avoir voulu nous donner son propre René et réaliser un idéal de lui-même dans la crise de sensibilité où nous l’avons entrevu, sous l’éclair de la douleur et de la passion. Le quatrième chant offre des beautés de l’ordre le plus sérieux ; l’élève de Rivarol et de Montesquieu s’y dessine