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jeune roi, pour prix de la paix qu’il offre au chef de ses ennemis, ne lui demande que la main de Geneviève.

Tel est le canevas du poème, telle est du moins la substance des principaux incidens qui sont comme le grand courant de la narration, car le drame proprement dit y tient beaucoup de place. Usant de son privilège de poète, M. Bulwer nous enlève souvent à la société des génies pour nous déposer au milieu des chefs bretons qui délibèrent ou des prêtres saxons qui réclament pour Odin des victimes humaines. Il nous peint le désespoir des Cymris réduits à la famine, les feux allumés sur les montagnes pour servir de signaux, le dévouement du barde qui, sans armes, se jette au milieu des ennemis en chantant que là où il tombera, les envahisseurs ne poseront jamais un pied vainqueur. Tous ces tableaux réels, sur lesquels je n’ai pu m’arrêter, sont loin d’être la partie la plus faible de l’œuvre de M. Bulwer ; j’en dirai autant des aventures du pauvre Gawaine, auquel un malin corbeau joue de fort vilains tours assurément, car, toujours victime des malices de ce démon emplumé, l’infortuné chevalier est condamné à épouser une redoutable virago, et finit par être transformé en prince esquimau, après avoir failli être rôti symboliquement en l’honneur de Freya. Cette joyeuse odyssée forme la partie comique du poème, le fabliau que M. Bulwer a voulu placer à côté du roman de geste pour représenter toute la poésie du moyen-âge.

Dans son ensemble toutefois, le Roi Arthur est avant tout une légende merveilleuse, et, au premier abord, on pourrait même le prendre pour un conte de fées. On le pense bien cependant, un homme sérieux ne saurait avoir écrit deux volumes de vers uniquement pour rimer un caprice d’imagination. Les poètes demandent à être examinés avec attention. Les uns cachent de graves pensées sous le désordre apparent de leurs rêves ; les autres s’en vont à l’aventure, à travers les champs de la fantaisie, pour chanter chemin faisant, à propos d’un nuage ou d’une fleur imaginaire, des refrains où ils jettent les sensations que leur a causées la vie. C’est une douce chose certainement que de reconnaître dans leur voix l’écho de ses propres impressions, à une condition cependant, c’est qu’on les retrouve enveloppées de mélodie. Cette condition, M. Bulwer ne l’a pas toujours remplie. Comme versificateur, il blesse bien souvent l’oreille, et bien souvent aussi les nécessités du mètre l’entraînent à délayer son style en épithètes et en membres de phrases inutiles. Nous n’insisterons pas toutefois sur ces défauts de forme, et nous chercherons à pénétrer jusqu’à l’essence même de son œuvre.

Comme nous l’avons vu, M. Bulwer a voulu ériger son monument poétique à un moment où l’intelligence avait décidément pris le dessus