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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1037

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raisonneuse, et qu’avaient à un si haut point tous nos radicaux et nos idéologues du XVIIIe siècle. Il a le culte de l’homme : il croirait volontiers que la raison humaine est plus maîtresse que Dieu des destinées du monde. Chez lui seulement, ce n’est pas l’humanité en général qui est l’objet de cette admiration un peu présomptueuse. Ce qu’il glorifie et ce qui lui inspire une vénération permanente, c’est la supériorité individuelle, la grandeur de l’espèce humaine dans le héros, le conducteur d’hommes. Chaque fois qu’il évoque l’idée de cette aristocratie spirituelle, — chaque fois qu’il parle de Merlin ou de Caradoc, la pensée et la poésie qui veillent sur un peuple, — son style prend une franchise et une animation inaccoutumées. Plus de froides combinaisons de mots, plus de souci de toilette. Du fond de son être jaillit une émotion qui tire au plus court et veut s’exprimer tout entière. Le Nord et ses mers de glace lui ont aussi inspiré des vers tout palpitans. Il a été fier de ses ancêtres, les rois de la mer, et il a trouvé spontanément des images vivantes pour nous peindre cette impitoyable nature qui a enseigné à sa race l’indomptable énergie d’une volonté patiente. Enfin, quand il abandonne l’allégorie, il est souvent pittoresque comme aux meilleurs endroits de ses romans ; il sait répandre dans ses tableaux ce quelque chose d’indéfinissable qui fait qu’un homme impose par sa majesté, ou qu’un site inspire un effroi superstitieux avant qu’on ait eu le temps de se demander pourquoi. En général toutefois, c’est dans l’imagination qu’est sa force. Si, en sa qualité d’idéaliste, il songe beaucoup plus à décider comment devraient être coordonnés les élémens qui figurent dans son idée de l’univers qu’à examiner, suivant le mot de Shakspeare, s’il n’y a pas plus de choses dans l’univers que ne le pensent les savans, au moins a-t-il, ce qui est la qualité de l’idéalisme, une grande puissance d’invention. C’est pour lui un jeu de rivaliser avec les rêves, de désagréger la création et de reconstruire avec ses débris des mondes nouveaux que nul n’a ni vus ni soupçonnés. Est-il besoin de dire que ces royaumes imaginaires sont profondément empreints de sa personnalité ? On y voit passer des ombres héroïques, et la nature y prend des proportions colossales. Par malheur, l’effet est toujours un peu théâtral. Dans les rêves de M. Bulwer, l’instinct qui refait à son gré l’œuvre de Dieu est toujours celui qui domine chez les poètes du Midi : l’amour de la simplification grandiose, de l’abstraction qui résume à grands traits, isole certains aspects, certaines forces ou certaines qualités de la nature en supprimant toutes les autres propriétés qui les limitent dans la réalité, et de la sorte les amplifie sous le regard jusqu’à remplir l’infini. La grandeur est obtenue ainsi par une violation de la loi naturelle qui veut que sur cette terre tout soit complexe et mélangé. À l’égard du monde moral, même système qu’à l’égard du monde physique. Comme il nous peint le type absolu de l’horreur ou de la