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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1040

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viable dans cette réaction, cela me paraît évident. Si au moins il avait paru au moment de la fièvre générale, il aurait eu, jusqu’à un certain, point, sa raison d’être, et il y eût probablement beaucoup gagné, car, à cette époque les enthousiasmes du jour auraient dominé plus complètement le poète ; son esprit se fût fait naïf aussi bien et en même temps que son imagination, et de la sorte la création de M. Bulwer aurait formé un tout homogène. Depuis lors, bien des années se sont écoulées : l’intelligence de l’écrivain a subi l’empire des circonstances ; elle s’est laissé aller à de nouveaux sujets de réflexion. De sa conception première, M. Bulwer n’a guère conservé qu’une fable chevaleresque, et il se trouve qu’il a enveloppé les tristesses du XIXe siècle dans les rêveries et les badinages du moyen-âge. Cet antagonisme entre sa philosophie et ses symboles l’a forcément précipité dans tous les défauts du pastiche. Son héros a toute la raison de notre temps, et il se meut sans la moindre surprise au milieu d’un monde fantastique qui ne représente nullement les idées qu’un pareil homme eût pu se faire de la nature. Merlin n’est plus le sorcier du moyen-âge en rapport avec les esprits de ténèbres : c’est le sage vieillard, le voyant, l’emblème de la pensée, qui découvre les secrets impénétrables à l’œil du vulgaire, et cependant il invoque les génies et donne aux paladins d’Arthur des bagues et des anneaux enchantés pour leur servir de guide. Chaque personnage du poème semble ainsi un assemblage de fragmens empruntés à des êtres différens ; ses actes ne sont pas la mise en œuvre de ses conceptions ; ses instincts ne sont pas l’effet produit sur lui par les choses avec lesquelles il a commerce. L’écrivain lui-même, tel qu’il se reflète dans sa composition, ne semble pas être un seul homme. En le lisant, on est mal à l’aise, comme devant une grave intelligence qui déroge ou devant une gaieté qui ne sait pas être gaie. À chaque instant, on serait tenté de lui dire : Vous avez des pensées qui méritent d’être écoutées ; prenez donc un langage sérieux pour exprimer des réflexions que les esprits sérieux peuvent seuls comprendre.

Étrange anomalie ! à l’époque de la révolution romantique, comme en 1848, l’Angleterre seule, en Europe, paraît avoir conservé son sang-froid, et c’est en Angleterre qu’un homme de talent vient aujourd’hui sacrifier à des illusions dès long-temps oubliées, lorsque les esprits ont eu partout le temps de se calmer, lorsque, dans son pays surtout, ils sont plus que jamais entraînés vers de nouvelles régions. Dès le principe, je le répète, la question ne fut nulle part mieux posée que chez nos voisins. Bien que Walpole, Percy et Macpherson eussent des premiers tenté la réhabilitation du passé, le romantisme, sur le sol britannique, ne perdit jamais de vue son but pratique et positif. Tandis que l’Allemagne ne s’émancipait des règles classiques que pour s’asservir aux formes du moyen-âge, tandis que la France se passionnait