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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1041

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pour une croisade dirigée, après tout, contre elle, l’Angleterre se borna à réclamer la liberté du sens propre contre l’absolutisme de la raison commune. Dans la lutte qui s’engagea chez elle, il n’y eut en présence que le passé et l’avenir d’un côté, le XVIIIe siècle avec son radicalisme, son art classique, son culte des idées et des principes, en un mot le vieil idéalisme qui prétendait immobiliser les conceptions de l’intelligence, c’est-à-dire proscrire à la fois le progrès et l’originalité individuelle en définissant tout ce qu’il voyait dans l’univers et en disant : C’est là tout ; — de l’autre côté, l’esprit nouveau, l’esprit de découverte et d’expérimentation, l’individualisme réclamant pour chacun le droit de voir par lui-même, d’avoir son goût à lui, de tirer ses idées de ses perceptions et d’aimer ce qui lui plaisait. Byron était alors dans sa gloire. On sait déjà qu’on s’était laissé éblouir par son talent. On a cru qu’il représentait l’avenir, et il n’était qu’un prolongement du passé, l’agonie plutôt de l’ancien rationalisme, qui ne croyait plus à ses premières illusions, mais qui ne pouvait encore les oublier ni se résigner à accepter la réalité telle qu’elle était. Maintenant il n’est plus guère possible d’en douter, l’avenir, au lieu d’être avec lui, était avec Wordsworth, avec les lakistes tant raillés, avec Walter Scott et le pauvre Keats, avec tous ceux enfin qui combattaient pour le vieux naturalisme germanique, qui, durant le moyen-âge, avait inoculé le mysticisme de saint Augustin dans les croyances catholiques, qui plus tard avait reparu dans la théorie protestante de la grace, plus tard encore dans Bacon, Bentham et Adam Smith. Quelles que soient les destinées réservées à l’esprit nouveau, au moins est-il certain qu’en ce moment l’Angleterre lui appartient corps et ame. — Au parlement, le règne des grands partis, l’époque des Chatham, des Burke et des Sheridan, a fait place à une politique toute pratique et toute dominée par les exigences des faits. L’industrie et la science vont à pleines voiles à la réalité ; la littérature suit la même voie. L’instinct qui a remporté la victoire, c’est le besoin de toujours apprendre, de toujours expérimenter. Le dédain des théories est à son comble. La plupart des poètes marchent sur les traces de Wordsworth : comme Thackeray et Dickens, comme tous les peintres, ils sont réalistes et naïfs, spiritualistes et positifs. Qu’on ne s’étonne pas de trouver ces mots accouplés : les artistes naïfs sont-ils autre chose que des expérimentateurs qui observent sans cesse, s’approchent de tout ce qu’ils rencontrent et passent leur vie à étudier l’effet que produisent en eux les moindres particularités du monde réel, au lieu de la passer à se construire un idéal, en combinant de mille manières leurs conceptions, c’est-à-dire les interprétations données depuis long-temps par la raison à des perceptions traditionnelles ? Tous les poètes anglais ne sont pas des lakistes, je le sais ;