Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le grand reproche de la propagande russe aux Polonais, aux Croates, aux Dalmates et aux Illyriens, c’est le christianisme latin, c’est l’esprit occidental auquel ils sont liés par leur histoire et par leurs goûts. En revanche, avec quelle tendresse l’écrivain russe ne parle-t-il pas des Slaves orthodoxes de la frontière autrichienne et de la Turquie ! Nous ne résisterons point au plaisir d’une dernière citation, qui nous semble mieux encore qu’aucune autre donner le vrai sens de l’intervention russe en Autriche : « Sur toute cette frontière militaire, composée aux trois quarts de Serbes orthodoxes, il n’y a pas une cabane de colon, au dire même des voyageurs autrichiens, où, à côté du portrait de l’empereur d’Autriche, l’on ne découvre le portrait d’un autre empereur que ces races fidèles s’obstinent à considérer comme le seul légitime. D’ailleurs, pourquoi le dissimuler ? il est peu probable que toutes ces secousses de tremblement de terre qui bouleversent l’Occident s’arrêtent au seuil des pays d’Orient, et comment pourrait-il se faire que dans cette guerre à outrance, dans cette croisade d’impiété que la révolution, déjà maîtresse des trois quarts de l’Europe occidentale, prépare à la Russie, comment pourrait-il se faire que l’Orient chrétien, l’Orient slave et orthodoxe, lui dont la vie est indissolublement liée à la nôtre, ne se trouvât pas entraîné dans la lutte à notre suite ? Et c’est peut-être même par lui que la guerre commencera, car il est à prévoir que toutes ces propagandes qui le travaillent déjà, propagande catholique, propagande révolutionnaire, toutes opposées entre elles, mais réunies dans un sentiment de haine commune contre la Russie, vont maintenant se mettre à l’œuvre avec plus d’ardeur que jamais. On peut être certain qu’elles ne reculeront devant rien pour arriver à leurs fins. Et quel serait, juste ciel ! le sort de toutes ces populations, chrétiennes comme nous, si, en butte, comme elles le sont déjà, à toutes ces influences abominables, la seule autorité qu’elles invoquent dans leurs prières venait à leur faire défaut en un pareil moment ! En un mot, quelle ne serait pas l’horrible confusion où tomberaient ces pays d’Orient aux prises avec la révolution, si le légitime souverain, si l’empereur orthodoxe d’Orient tardait encore long-temps à y apparaître !… » Quoi de plus clair ? Dans la situation mille fois regrettable que l’oppression magyare et l’imprudence du cabinet allemand de Vienne ont faite aux Slaves de Bohème et de Hongrie, l’empereur intervient pour prêter aide et secours à des frères slaves, à des co-religionnaires. Il se présente à eux, non point comme le champion du pouvoir absolu, mais comme le protecteur naturel du principe slave en Autriche, fort heureux que ce principe n’ait pas pu se constituer sans son concours, et fort attentif, par ses lenteurs mêmes, à faire sentir aux Serbes, aux Croates, aux Tchèques, tout le prix de l’appui qu’il leur apporte.

Voilà le péril que craignaient par-dessus tout autre ceux qui voulaient une Autriche constitutionnelle et fédérale, où les Slaves, se suffisant à eux-mêmes, loin de voir dans l’empereur de Russie un allié nécessaire, l’eussent redouté naturellement comme un ennemi. Voilà ce que les libéraux de France n’ont jamais su comprendre, les yeux toujours offusqués par la question d’Italie et les déclamations des Magyars. Le véritable intérêt diplomatique de la France était à Constantinople et à Vienne, où nous devions, s’il eût été nécessaire, sacrifier un peu de l’impatience de nos instincts démocratiques à ce grand calcul de