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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/115

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et en reproches : les voyageurs criaient après le conducteur, le conducteur jurait contre le postillon, et le postillon battait ses chevaux ; mais, la première colère passée, chacun prit son parti. On nous retira de notre prison roulante, désormais condamnée à l’immobilité. Examen fait, il se trouva que la roue était assez gravement endommagée pour exiger la présence d’un charron. Nous étions à environ une lieue de Saint-Omer-en-Chaussée et de Troissereux ; nous ne pouvions attendre sur la route que l’ouvrier fût venu, et on décida que le conducteur irait chercher le charron sur l’un des chevaux, tandis que le postillon gagnerait l’abri le plus voisin, avec les voyageurs et le reste de l’attelage. Nous vîmes, en effet, le premier enfourcher le porteur et disparaître au galop dans la nuit, tandis que le second tournait à droite, précédé des trois chevaux qui lui restaient, et nous faisait prendre un chemin de traverse au milieu des friches.

Mon compagnon et moi, nous le suivions en frissonnant sous un vent glacé. Tout avait autour de nous un aspect funèbre. Nous marchions sans entendre le bruit de nos pas, enveloppés dans un linceul de neige qui se déroulait silencieusement à nos pieds. Par instans, nous traversions des taillis dont les repousses, blanchies par le givre, se dressaient comme de gigantesques ossemens et s’entre-choquaient avec un cliquetis lugubre. Mon excitation nerveuse, augmentée par le malaise, avait rendu mes sens plus subtils ou moins rebelles à l’hallucination. Deux ou trois fois j’entendis distinctement, dans l’atmosphère opaque qui nous entourait, le rire bizarre qui m’avait déjà frappé au passage du Goubelino. Le postillon le reconnut sans doute également, car il s’arrêta, pencha la tête, puis reprit sa route en sifflant comme un homme qui cherche à se distraire ou à se rassurer. Ce que j’éprouvais n’était point de la crainte, mais une sorte de trouble composé de surprise, d’impatience et d’attente. Les impressions de l’enfance luttaient chez moi avec les opinions de l’âge mûr, et celles-ci semblaient céder à demi, moins par faiblesse que par curiosité.

Nous arrivâmes à une clairière où le gazon, dépouillé de neige, formait une sorte de cercle dont le vert jaune se dessinait sur la blancheur des frimas. Notre guide nous montra ce cercle avec un sourire qui tenait le milieu entre la bravade et la peur.

— C’est le rond des fades, nous dit-il en évitant de le traverser ; ceux des environs assurent qu’elles viennent danser, à la nouvelle lune, avec les farfadets et le Goubelino. Il y en a qui les ont vues de loin ; mais il ne faut pas les déranger, vu que ce sont des mauvaises qui vous tordent un homme comme une hart de fagot. On dit aussi qu’elles enlèvent des enfans à la manière de celles de mon pays, où nous avons la bête Havette, qui se cache au creux des fontaines, et la mère Nique, armée d’un bâton pour corriger les marmots.