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instinct, superbe et fier de régenter tout ce monde, heureux de le protéger la nuit quand les loups hurlent et quand les brebis tremblent. Enfin la lune se lève, les vastes charrettes arrivent les dernières, revenant des marécages et chargées du foin qui verse une odeur enivrante. Les chevaux, dont la rosée humecte la crinière, hennissent dans leur joie, et font tressaillir sur leurs robustes épaules les harnais splendides et les belles franges rouges qui sont leur orgueil. On trait les vaches patientes, dont le lait tombe avec bruit et en cadence dans les grands vases de cuivre. Les rires des garçons dans la ferme et les chants des jeunes filles se joignent aux longs mugissemens des taureaux ; puis le silence renaît. On entend le bruit criard des barreaux qui se ferment, et tout se tait, tout repose.

Comme idylle américaine, le poème de M. Longfellow est admirable. Ce qui manque surtout à son œuvre, c’est la passion. La peinture de l’amour des fiancés, la naissance et le progrès de cette affection mutuelle ne sont point indiqués. Il semble que toute l’ardeur d’inspiration dont l’écrivain dispose ne puisse s’épancher que sur le pays même, et n’ait d’élan sincère que vers cette nature sublime et vierge qui l’environne.

On peut reconnaître chez le poète anglo-américain deux retours assez étranges : l’un, religieux, vers les croyances catholiques, vers une compréhension plus vaste et plus libérale des idées chrétiennes ; l’autre, tout littéraire, vers les formes rhythmiques du teutonisme scandinave. Le vers employé par M. Longfellow n’est pas anglais ; il se compose de deux portions de vers réunies, à l’instar de quelques vers allemands modernes, en une seule ligne de treize, quatorze et quinze pieds, sans rime, mêlée d’allitérations nombreuses et irrégulières qui se déroulent avec une lenteur solennelle et triste.

Le premier effet produit par cette mélopée bizarre sur les oreilles habituées au rhythme ïambique anglais, fort rapide en général, est étrange et même désagréable ; on s’y accoutume cependant. L’écho de la même consonne au milieu et au commencement des mots, forme étrangère aux habitudes poétiques du Midi, bien qu’on en trouve des exemples dans les vieux poètes latins et grecs, n’avait pas été essayée par les poètes anglais modernes. Il fallait un grand art pour faire accepter à des oreilles délicates cette rime intérieure par les consonnes, que le ridicule Guillaume Cretin voulut naturaliser chez nous et qui, par parenthèse, nous venait d’Allemagne et des meistersœnger du XVe siècle : fait curieux qui ne se trouve consigné dans aucune histoire littéraire. M. Longfellow sait très bien l’islandais et le danois ; il a fait un assez long séjour dans la péninsule scandinave, et il a usé habilement de ce rhythme difficile à mettre en œuvre, qui a conservé une influence populaire dans les régions de l’extrême Nord. Le poète danois