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Dans le grand parti libéral cependant, une fraction, impatiente de la résistance des souverains et de leur lenteur à accorder les réformes unanimement sollicitées, tenta de sortir de cette agitation pacifique et légale que M. Gioberti prêchait du fond de l’exil à ses compatriotes, et que M. d’Azeglio mettait en pratique à Rome avec un remarquable succès. Ces dissidens cherchèrent un point d’appui sur la multitude et créèrent les dimostrazioni in piazza. Il fallait, disaient-ils, exercer à la fois une pression sur les gouvernemens et hausser le diapason de l’opinion publique. L’allanguissement séculaire d’une race oisive nécessitait l’emploi de stimulans énergiques, si l’on voulait la lancer contre l’Autriche et lui donner la passion de l’indépendance nationale. Enfin, ils s’appuyaient, mais à tort, sur l’exemple de l’Angleterre ; car si les meetings monstres et les processions publiques sont déjà considérés comme dangereux au sein de cette société anglo-saxonne si vigoureusement organisée, si instinctivement dévouée à l’ordre, à bien plus forte raison était-il imprudent de les favoriser chez des populations aux allures extrêmes, et capables de passer d’une torpeur complète à des écarts dont il est impossible de mesurer la portée. Pour arracher leurs libertés à des pouvoirs débiles, bien qu’entourés de formes despotiques, le droit de pétition suffisait aux Italiens, sans qu’ils eussent besoin d’y ajouter celui de réunion, périlleux même chez des nations rompues aux mœurs politiques. C’est ce que soutinrent fortement plusieurs écrivains respectés et populaires, M. le comte Balbo entre autres, dans ses Lettres politiques, où il s’efforçait de maintenir sur le terrain de la légalité et de la modération, le seul qui eût été jusqu’alors favorable à la cause italienne, l’effort que certains patriotes imprudens tendaient à précipiter dans des voies excentriques. Pour prix de leurs sages conseils, ces écrivains devinrent suspects : c’est l’habitude. On n’osait pas encore les traiter de rétrogrades, mais on les taxa de timidité et de modérantisme.

Dès cette époque, on put donc distinguer deux nuances dans le parti libéral l’une d’exaltés, jeunes gens pour la plupart, disposés à accélérer le mouvement et à courir les aventures ; l’autre, formée par la grande majorité, qui, pressentant le péril, dut tenter la double et difficile entreprise de réagir contre une trop grande précipitation, tout en poursuivant avec fermeté la conquête des libertés constitutionnelles. Toutefois la division n’était pas bien profonde, et la querelle n’était pas encore envenimée, lorsque éclatèrent le soulèvement de Milan et la guerre de la Lombardie. Il fut aisé de voir alors combien était sage la politique de l’auteur du Primato et de ses amis, qui, au rebours de leurs devanciers, avaient constamment voulu subordonner les questions de liberté et d’organisation intérieure, sources de discorde, à la question d’indépendance, pour laquelle ce n’était pas trop de l’union des princes et des peuples et de la concentration de toutes les forces vives du pays. Le premier mouvement fut admirable ; l’Europe crut un instant à une transformation réelle de l’esprit italien sous les dures leçons de l’expérience : courte illusion. L’éducation de ces populations, courbées sous un joug séculaire et systématiquement énervées par leurs oppresseurs, aurait eu besoin d’un plus long temps encore pour devenir complète. Pie IX l’avait dit lui-même : Il faut dix ans au moins pour que les idées politiques pénètrent chez ce peuple. Les promoteurs du mouvement libéral le sentaient bien aussi, et il n’avait pas dépendu d’eux ; que la guerre ne fût retardée ; mais les circonstances ne