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REVUE DES DEUX MONDES.

Sans qu’on y prenne garde, il se creuse un fossé, et bientôt on ne le peut plus franchir ! Si du moins cet homme vous avait appris quoi que ce fût… mais en pure perte, vous en convenez…

LE CARDINAL DE LORRAINE, à part.

Elle flaire quelque chose, dépistons-la. (Haut.) Votre majesté a mille fois raison, il est certains ménagemens qu’on pouvait garder envers MM. les princes, sans dommage pour la sûreté du roi. C’est un soin qui nous est échappé, je le confesse. Je vais plus loin : je reconnais que les mesures prises par nous doivent éveiller leur défiance et les détourneront sans doute de venir aux états ; mais alors, qu’on nous fasse la grâce d’en convenir, nous n’avons pas les intentions que leurs amis nous prêtent. Autrement, que signifierait notre façon d’agir ? Nous aurions résolu de les perdre, et nous les inviterions à se sauver ? nous leur tendrions des pièges, et nous empêcherions qu’ils ne vinssent s’y prendre ? La loyauté de nos desseins ne se voit-elle pas au travers même de ces précautions dont on veut prendre ombrage ? Votre majesté paraît le reconnaître. Elle sait que nous ne sommes plus des enfans, et, Dieu merci ! pas encore des sots : si nous avions les projets qu’on suppose, ne jouerions-nous pas un autre jeu ?

LA REINE-MÈRE.

Soit, monsieur le cardinal ; mais savez-vous ce que je m’imagine ?

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Quoi donc, madame ?

LA REINE-MÈRE.

Qu’il entre dans vos desseins que les princes ne viennent pas.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

C’est trop dire : si leur présence nous semblait dangereuse, nous irions droit au but, le roi leur donnerait ordre de s’éloigner. Nous ne l’avons point voulu. Vous dirai-je maintenant qu’il n’existe aucun inconvénient à les laisser venir ? Si je vous le disais, je ne serais pas sincère, et, comme avec votre majesté on ne gagne à cacher la vérité que le regret de la voir découvrir, il vaut mieux l’avouer franchement, nous ne savons pas s’il est bien désirable que les princes prennent séance aux états. Mon frère surtout, depuis qu’il a vu certains bailliages nous envoyer de tels hommes et de tels cahiers…

LA REINE-MÈRE.

Ah ! que vous m’affligez ! Je n’aurais jamais cru…

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Des cahiers insensés, madame ; toutes les folies du monde sur les finances, sur la gabelle, sur le clergé, sur la religion même ! C’est à se demander si, lorsque ces gens-là verront à leurs côtés deux princes du