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avis, je suis quitte envers vous, et je vais à mes affaires. C’est à vous de profiter de mon expérience, à moins que vous n’aimiez mieux faire comme la plupart de vos compatriotes et braver les dangers au lieu de les éviter : vous en êtes le maître.

Le vaquero s’était levé tout en me parlant ; il me lança un regard moqueur, puis il descendit à grands pas la colline où nous étions assis, et je l’eus bientôt perdu de vue. Je me levai à mon tour, et je repris mon chemin, guidé par les traces de chariots qui se montraient de loin en loin. Enfin, je sortis du défilé où je m’étais engagé, et j’arrivai dans la plaine, au milieu de laquelle le lac Bompland étend ses eaux limpides. Ce lac, situé au centre des plus hauts sommets de la Sierra-Nevada, forme un parallélogramme de cinq lieues de long sur deux de large. Ses rives, qui n’allaient pas tarder à se couvrir d’émigrans, étaient encore désertes. Deux chariots arrêtés près du lac annonçaient cependant que quelques colons s’étaient déjà fixés sur ses bords. La forme de ces wagons, la toile blanche qui les recouvrait, attirèrent tout d’abord mon attention. Il me sembla reconnaître les chariots de Township. Je pressai le pas, et j’acquis bientôt la certitude que je ne m’étais pas trompé. Trois des fils de Township étaient occupés à trier des sables aurifères à quelque distance des wagons, et leur préoccupation était telle qu’ils ne m’avaient pas aperçu. J’avais devant moi un curieux exemple de cette âpreté d’exploitation qui révoltait si étrangement le vaquero mexicain. L’un des jeunes émigrans tamisait, à l’aide d’une large pelle et d’une claie d’osier inclinée au-dessus du sol, les parties les plus grossières du sable ; deux de ses frères les blutaient ensuite dans une peau de buffle criblée de petits trous comme les vans de nos campagnes. Des amas de sable tamisé s’élevaient en assez grand nombre auprès des jeunes gens, attendant la dernière et décisive opération du lavage. C’était l’art du chercheur d’or dans sa première enfance. J’interrompis leurs occupations en me faisant reconnaître de l’aîné de ces jeunes travailleurs nommé Térence ou Terry (diminutif familier de Térence). Je n’avais pas oublié la cordiale sollicitude qu’il m’avait témoignée au moment de ma rencontre avec son père. Le premier moment de surprise une fois passé, Terry me conduisit au campement du squatter.

Township avait choisi, pour y installer sa famille, un petit vallon creusé parmi les hauteurs qui encadrent le lac. Sa tente et ses chariots, abrités derrière un monticule, fermaient, avec des troncs d’arbres, une sorte de retranchement qui mettait son habitation à l’abri d’un coup de main. Terry m’introduisit dans la tente commune. Le squatter et sa femme m’accueillirent comme une vieille connaissance. Quant à la jeune fille de Township, elle répondit à mon salut par un de ces gracieux sourires auxquels pendant mon long pèlerinage je n’avais jamais pensé sans émotion.