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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/264

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— Il est donc dit, s’écria Township, que nous nous rencontrerons toujours dans l’exploitation du même terrain ; mais celui-ci produit assez pour qu’on ne craigne pas de partager. Ce n’est pas ici comme à Red-Maple. Soyez donc le bien-venu.

La brusque cordialité de cet accueil me prouvait que le squatter ne gardait contre moi aucune arrière-pensée hostile, aucun souvenir désagréable de nos premières relations. Je fis connaître alors à Township une partie des motifs qui m’avaient fait entreprendre ce long voyage ; je lui racontai mes tentatives inutiles pour le rejoindre depuis Guyandot, et notre excursion à sa recherche sur les bords de l’Arkansas. Je parlai à ce propos de l’homme que nous avions sauvé au milieu de circonstances si singulières, et que nous avions amené avec nous. Je fus frappé de l’air d’inquiétude avec lequel le squatter écouta cette dernière partie de mon récit. Toute la famille semblait partager ce sentiment pénible, et l’embarras de Township était visible. Toutefois le squatter ne tarda pas à se remettre, et il affecta même quelque gaieté en me racontant qu’après avoir failli être victime d’un guet-apens tendu par des maraudeurs, il avait fort à propos été secouru par un détachement de riflemen, et que cette rencontre avait été le seul incident de son voyage. Je dus me contenter de cette explication, après quoi j’arrivai à la proposition d’association que je m’étais chargé de lui transmettre. L’offre de trois associés armés, parmi lesquels se trouvait un chasseur du mérite de Tranquille, fut acceptée avec empressement, comme je m’y étais attendu. Satisfait du résultat de ce premier entretien, je me retirai pour rejoindre mes compagnons, que j’espérais rencontrer au camp.


II

À mon arrivée au bivouac général, ni Tranquille ni le romancier n’étaient de retour. Quant à notre domestique, il avait jugé à propos de s’éloigner aussi de son côté, laissant notre tente à la merci du premier occupant. Fort heureusement personne ne s’était soucié de profiter de notre absence, et je retrouvai nos bagages intacts. Le domestique s’était contenté d’emporter son modeste équipement, monté sur le cheval que nous avions acheté pour son usage. Il n’était que trop probable que le drôle avait trouvé commode, après avoir fait le voyage à nos dépens, d’essayer le métier de gambusino pour son propre compte. Je reconnus là un premier symptôme de la maladie régnante, et je pensai avec effroi au bouleversement que les progrès de cette fièvre d’exploitation allaient apporter dans les relations sociales de la colonie naissante. Je parcourus le camp, et je retrouvai partout le même désarroi que sous notre tente. Les bœufs, encore accouplés aux jougs, ruminaient tristement près des chariots abandonnés par leurs maîtres,