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qui émerveillaient autrefois, dans des terrains plus favorisés, le gambusino mexicain muni de sa sébile. Sur les bords du lac Bompland, nous vîmes fonctionner quelques-unes de ces puissantes machines, admirables créations de l’industrie américaine. Là, des auges gigantesques, sans cesse remplies, arrosées et vidées, balançaient, à l’aide d’une bascule manoeuvrée par un seul bras, une charge de sable que plusieurs hommes eussent eu peine à soulever. De larges corbeilles aux mailles serrées étaient, au moyen de longues perches dont deux travailleurs tenaient l’extrémité, continuellement plongées dans le lac et tirées hors de l’eau. D’autres chercheurs d’or travaillaient à la confection de chapelets hydrauliques dont les seaux cerclés de fer devaient à la fois draguer le sable et le laver. En un mot, cette merveilleuse activité américaine, qui a déjà changé la face d’un monde, s’exerçait là dans toute sa fougueuse ardeur. Les visages étaient radieux, car ce travail infatigable commençait à porter ses fruits. Partout c’étaient de bruyans éclats de joie, des actions de graces frénétiques. On se montrait en triomphe des grains d’or, souvent presque impalpables, extraits d’une montagne de sable. D’autres, plus heureux, trouvaient parfois de petites pepitas qui, grossies par la renommée, ont dû prendre en Europe des proportions gigantesques. Puis, le soir venu, aux lueurs du foyer où rôtissaient les viandes apportées par les chasseurs de chaque communauté, on comptait ses gains, on s’en promettait de plus beaux pour le jour suivant, et chacun s’endormait dans des rêves dorés.

Cependant de vagues rumeurs ne tardèrent pas à circuler. Quelques travailleurs en s’écartant pour couper les bois nécessaires à la construction des machines, les chasseurs au retour de leurs chasses, avaient signalé des traces suspectes ; des figures inconnues avaient été vues rôdant parmi les rochers voisins du lac. La masse des terres déplacées, le soleil ardent, avaient d’ailleurs disséminé dans l’atmosphère des germes de maladies qu’allaient développer le travail excessif et une nourriture souvent insuffisante. On pressentait le danger sans le voir. L’inquiétude était dans l’air et planait pour ainsi dire au-dessus du camp, comme ces nuées des tropiques imperceptibles d’abord, et qui, grossissant tout à coup, laissent éclater de terribles orages. Au milieu de cette inquiétude générale, l’intérieur de la famille du squatter m’offrait des distractions précieuses que je recherchais avidement. Là aussi pourtant régnait une vague tristesse, et l’anxiété qu’on lisait sur les traits du chef de famille semblait s’être communiquée à tous ses enfans. C’est à force d’activité seulement qu’on parvenait à écarter de tristes préoccupations. Aussi la petite communauté travaillait-elle avec ardeur, les hommes au-dehors, les femmes au-dedans. Le spectacle de ces communs efforts avait pour moi un charme sévère. Il me semblait vivre au milieu