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Les fatigues, les périls de la vie militaire s’unissaient ainsi aux pénibles travaux de la vie du colon. Pour moi, je préférais le métier de soldat à celui de chercheur d’or, et pendant que le squatter, avec ses fils, passait des journées entières à explorer les ruisseaux, à creuser les sables, pendant que le romancier et Tranquille chassaient de compagnie dans les forêts voisines, je passais volontiers de longues heures à errer, en sentinelle dévouée, le fusil sur l’épaule, autour de nos tentes et de nos chariots. Je me surprenais souvent à désirer qu’une occasion s’offrît de défendre notre campement contre une de ces tentatives d’agression si fréquentes depuis quelques jours. J’aurais voulu décider mes compagnons au départ, et j’espérais qu’en présence d’un danger sérieux Township renoncerait à exposer plus long-temps l’existence de sa famille aux vengeances des Indiens. L’occasion que je désirais s’offrit enfin, non pas telle assurément que je l’avais souhaitée : je ne pouvais prévoir, en vérité, les tristes événemens qui, après un mois de pénible attente, allaient rompre notre association à peine formée.

C’était deux jours après l’entretien où Township m’avait raconté l’histoire du vaquero de l’Arkansas. Je gardais, comme d’habitude, les abords de nos tentes ; Township et ses fils étaient au travail, Tranquille et le romancier à la chasse. Le soleil déclinait, et les chasseurs, comme les chercheurs d’or, ne pouvaient tarder à revenir. Déjà les Monts-Neigeux projetaient de grandes ombres dans les vallées de la sierra, d’où s’élevaient des vapeurs bleuâtres. Le pic double des Deux-Soeurs, le Mont-Linne, et, au nord, le sommet neigeux du Pic de Shastl, qui domine la vallée du Sacramento, étincelaient encore sous les rayons du soleil. Je m’étais placé sur une petite éminence d’où je découvrais toute la vallée du lac. Au centre de cette vallée, j’apercevais les tentes bariolées, les wigwams coniques en peaux de buffles, habités par les diverses associations de chercheurs d’or. Des hommes de toutes les races et de toutes les couleurs veillaient l’arme au bras à la porte de ces abris sauvages. Pour moi, la carabine à la main, je me laissais aller à ces rêveries douces qui terminent souvent une journée de fatigues. La chute du jour dans le désert est un moment solennel. J’allais et venais de la colline qui me servait de poste d’observation à la hutte du squatter, où j’entrevoyais de temps en temps les blonds cheveux et le tranquille sourire de la jeune Virginienne. Des troupes d’émigrans, qui revenaient du travail, passaient devant moi. J’échangeais un salut amical, tantôt avec le chercheur d’or subitement enrichi, qui marchait vers le camp le front radieux et d’un pas léger, tantôt avec le malheureux qui ne rapportait d’une lointaine et pénible excursion que la tristesse du désappointement et les frissons de la fièvre. Je m’étonnais de ne voir revenir ni le squatter, ni mes deux autres associés. Enfin, je vis paraître le fils aîné du squatter, ce brave et loyal jeune homme avec qui je m’étais lié étroitement