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tous sont de très grands observateurs, pleins de perspicacité et de finesse. Il n’y a pas de moralistes, de psychologues, de romanciers qui sachent débrouiller les passions humaines mieux que les mystiques, alors même qu’ils ont eu peu de rapports avec les hommes ; il n’y en a pas qui sachent mieux montrer la signification réelle des choses de ce monde. Comment cette faculté analytique de l’observation peut-elle s’allier à cette puissance spontanée de l’instinct ? C’est une bizarrerie qui s’explique difficilement ; mais la nature évite de créer des monstres, et, en donnant une faculté très développée, elle nous donne la faculté opposée, afin que les deux forces se neutralisent et maintiennent l’équilibre de la pensée et de la vie. L’instinct et la faculté d’observation doivent donc se rencontrer chez le même individu, sinon sa nature serait anormale et mauvaise, comme celle d’un homme fort sans être doux, ou d’une grande volonté qui ne serait pas unie à la patience. Prenez un homme qui n’ait que des instincts, et il sera alternativement dans le vrai et dans le faux ; prenez un homme qui n’ait pas d’autre faculté que la faculté d’observation, et il ne sortira pas des choses de ce monde, il ne s’élèvera jamais vers des sphères supérieures, tout occupé qu’il sera d’analyser, de séparer, de distinguer les nuances. Mais si ces deux facultés constituent le mystique, pourquoi donc ce mot serait-il synonyme d’étrange et de fou ?

Le mysticisme de Thomas Carlyle est entièrement fondé sur les réalités premières : la conscience, la vie, la force. Nous n’essaierons pas de l’analyser et de le disséquer. Comment analyser, par exemple, le profond sentiment de la vie que révèlent ses écrits ? Il vaut mieux en ressentir les salutaires influences et en respirer la saine atmosphère. Ne pourrait-on pas d’ailleurs en dire autant de tout livre mystique ? Or, dans les choses purement idéales, Thomas Carlyle raconte, voit, décrit, mais n’explique et ne définit pas exactement. Son esprit est une sorte de lumière boréale ou de météore rapide et éclatant, illuminant subitement les objets et les replaçant aussitôt dans les ténèbres, ou bien les éclairant tranquillement et obscurément comme dans un lumineux crépuscule. On peut appeler Carlyle mystique, puritain, supernaturaliste, peu importe, car tous ces noms désigneront également les tendances de son esprit. Aussi n’est-ce pas sur la tournure mystique de son intelligence et sur la nuance particulière de ce mysticisme que nous nous arrêterons. Nous pouvons donner en deux mots notre méthode philosophique, celle que nous voudrions employer avec Carlyle. Nous ne nous attachons jamais à combattre un livre philosophique, mais à le comprendre. L’auteur peut être à son aise mystique, sceptique, rationaliste, panthéiste, peu nous importe. Ce ne sont là que les mots, les titres, les étiquettes, ce ne sont pas les choses. Ce sont les termes généraux et qui trompent, car le scepticisme de Montaigne n’est pas celui