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pas l’obligation du travail telle que la prêche le catholicisme, c’est la nécessité absolue, la fatalité inévitable du travail. « Le travail, dit-il, est la seule méthode que la nature puisse employer pour nous perfectionner ; il n’y en a pas d’autre. » C’est la seule réhabilitation de l’homme. Dans le catholicisme, l’homme peut se relever par la prière, par les œuvres ; ici, il ne peut se relever que par le travail, par une lutte de tous les instans avec la fatalité. La prédestination prend l’homme au berceau et le conduit vers des routes inconnues. Pendant tout ce voyage, sa libre volonté doit lutter contre les obstacles qui arrêtent ses pieds, et, pour ne pas s’égarer dans cette marche haletante et fatale, il lui faut deux choses : la foi qui éclaire et le travail qui sanctifie. Grace à ces deux choses, cette fatalité qui pèse sur lui ne sera plus qu’une épreuve terrible, mais en somme bienfaisante. Sans la foi, sans le travail, cette prédestination l’entraînerait dans les abîmes. Telle est pour Carlyle la loi du devoir et la règle de la vie. Cette loi est entièrement protestante, rude, austère, et sans aucune clarté miséricordieuse et adoucissante.

Il n’y a pas trace dans tout cela, on le voit, de certaines théories de perfectibilité qui aboutissent à la divinisation de l’espèce humaine. L’homme, aux yeux de Carlyle, n’est ni bon ni mauvais, ni ange ni bête, comme dit Pascal. Il est bon et mauvais tout ensemble. Il est né avec une double tendance ; il est capable du bien, il est capable du mal. « Il y a en lui des profondeurs pareilles à celles de l’enfer et des hauteurs qui atteignent le ciel. » Il a un vif appétit « pour la douce nourriture, » et une admiration sans bornes pour ce qui est héroïque et beau. C’est une nature amphibie. En voulez-vous un exemple : contemplez le mois de septembre 1792. Deux faits remarquables s’y passent à la fois. Voyez septembre à Paris ; on dirait que l’enfer s’est ouvert, l’homme est arrivé à ce moment terrible où il brise toutes les barrières et toutes les règles, et où il montre quelles profondeurs et quelles cavernes ténébreuses il y a en lui. Le meurtre, la férocité, la rage, l’entourent et l’entraînent. Voyez maintenant septembre dans l’Argonne. Une armée d’hommes à peine vêtus, sans souliers et sans pain, aux cris de vive la république ! délivrent les frontières de la France. L’homme est-il bon ou mauvais ? Il est l’un et l’autre. Qu’y a-t-il donc à faire ? Il faut développer en lui ce qui est bon, et avec cette portion de lui-même combattre l’autre moitié, le gouverner grace à cette portion de bonté, l’élever toujours plus haut dans le bien, l’empêcher de descendre trop bas dans le mal. Voilà la mission que doit se proposer sans cesse tout gouvernement et toute classe dirigeante.

Parmi les idées de Carlyle, il en est deux encore qu’il faut signaler comme spécialement tournées contre les idées de notre temps : ces idées sont le culte des héros et ce que nous appellerons la notion du silence.

D’après Carlyle, rien n’est bon que ce qui est silencieux. « L’efficacité