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des pieds pour en cueillir. Elle a aussi coupé quelques-unes de ces marguerites ; mais les pas s’éloignent du camp : ces empreintes où le talon est plus marqué, et toutes si près les unes des autres, prouvent que la jeune fille marchait en rêvant, en effeuillant sans doute les marguerites pour leur demander un présage d’amour. Ah ! c’est que dans le désert, comme dans les villes, de jeunes et belles créatures n’ont rien de mieux à faire que ces doux songes. Heureuses les jeunes filles qui rêvent, plus heureux encore ceux qui les font rêver !

Le chasseur, dont la sagacité merveilleuse semblait démêler sur la terre comme dans un livre les plus secrètes pensées des personnes absentes, avait prononcé ces mots avec une gaieté mélancolique et douce qui me rendit rêveur à mon tour. Je me rappelai cette blanche apparition de la vallée, le sourire de la jeune Virginienne et la branche d’érable tombée sur le chemin. C’était elle, sans doute, dont je voyais les empreintes sur la terre, car le jugement de Tranquille me paraissait sans appel. Je choisis alors, pour y faire dresser notre tente, l’ombre de cet érable dont peut-être elle avait cueilli les fleurs en souvenir de Red-Maple. C’était, à mes yeux, comme un terrain consacré.

Tous les jours suivans, je recevais chaque soir, par l’entremise du Canadien, des nouvelles du squatter et de sa famille, qui ne se doutaient pas que le propriétaire de leur vallée les suivît de si près. Je craignais à chaque instant que quelque indice ne révélât à Tranquille une de ces catastrophes si fréquentes dans le désert, et je blâmais sévèrement l’imprudence d’un homme qui exposait à des dangers sans cesse renaissans sa vie et celle de tous les siens. L’événement ne tarda pas à confirmer mes craintes en partie. Il y avait un mois que nous avions quitté Saint-Louis, et nous n’étions plus qu’à deux jours de marche de l’Arkansas, c’est-à-dire à la moitié du trajet seulement de Santa-Fé. Montés comme nous l’étions, mon compagnon de route et moi, nous aurions pu facilement franchir cet espace en moitié moins de temps, et nous songions sérieusement à prendre les devans, une fois arrivés à la capitale du Nouveau-Mexique, lorsque le chasseur canadien, en examinant, comme il avait coutume de le faire à ma prière, les traces du dernier campement du squatter, secoua la tête d’un air chagrin. Il s’éloigna des traces laissées par les chariots pour aller en examiner d’autres à quelque distance ; quand il revint, ses traits dénotaient encore plus clairement le doute et l’inquiétude.

— La nuit a dû être une de celles qu’on n’oublie guère, dit le chasseur, et je crains bien que demain nous n’apprenions par d’autres indices qu’il ne faut pas trop tenter le diable.

— Que voulez-vous dire ? m’écriai-je ; quelque danger sérieux a-t-il menacé les voyageurs ?

— Certainement, et des dangers de toute nature. Les Indiens sont