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de leur faire cette galanterie : vous vous gardez pour des temps meilleurs. Cela dit, voyons un peu comment disposer nos affaires.

LE ROI DE NAVARRE.

Vous allez trop grand train, connétable. Parlons des états, s’il vous plaît. Vous pensez qu’il nous est loisible d’y faire défaut ? Moi, je le confesse, je n’en crois rien.

LE CONNÉTABLE.

Quoi ! vous avez envie d’aller à Orléans ?

LE ROI DE NAVARRE.

Envie, non ; mais il est des choses qu’il faut faire, sans en avoir envie.

LE CONNÉTABLE.

Vous voulez, sans défense, vous livrer à ces gens-là !

LE ROI DE NAVARRE.

Serai-je sans défense au milieu des députés des trois ordres ? Cette noblesse n’aura-t-elle pas ses épées ? Les gens du tiers ne seront-ils pas pour moi ?

LE CONNÉTABLE.

Et les soldats dont la ville est pleine, pour qui seront-ils ? — En vérité, je ne sais ce qui l’emporte en moi de l’affliction ou de la surprise ! On me l’avait dit, je n’en voulais rien croire. — Ainsi, vous vous faites scrupule d’obéir aux invitations du roi ! vous vous croyez protégé par sa parole ! Mais vous oubliez donc dans quelle servitude est tombé cet enfant ? Ses ordres ! est-ce lui qui les donne ? Ses promesses ! est-ce lui qui les tient ? Vous fiez-vous, par hasard, à sa mère ? Triste caution ! D’abord elle ne peut rien, et, pût-elle quelque chose, croyez-moi, ce ne serait pas pour vous servir.

LE ROI DE NAVARRE.

J’aurai ma sauvegarde dans mon bon droit. De quoi voulez-vous qu’ils m’accusent ?

LE CONNÉTABLE.

On est toujours coupable quand on est sous la main de ses ennemis ; au temps où nous vivons, l’imprudence est le plus mortel de tous les crimes. (Se tournant vers le prince de Condé.) N’est-ce pas votre avis, monsieur mon neveu ? Aidez-moi donc si, comme je le suppose, les desseins de votre frère vous affligent autant que moi.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Demandez-lui, mon cher oncle, quelle rude guerre je lui ai faite depuis un mois que nous cheminons de compagnie. Que ne lui ai-je pas dit ! Je lui ai fait toucher au doigt tous les dangers de son entreprise.