Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des tentations périlleuses, qui exercent sur l’ame humaine le charme terrible de l’abîme. De toutes parts, il s’élève un souffle singulier qui suscite les instincts orageux, enflamme les convoitises, remue toutes les passions et fait vaciller dans l’homme cette lumière naturelle du juste et du vrai, à laquelle il est tenu de régler ses actions et sa vie. Les révolutions, même les plus pures et les plus légitimes, ont cela de triste, qu’elles sont inévitablement l’issue par où se précipite tout ce qu’il y a de désirs effrénés, d’ambitions inassouvies, de rêves irréalisables, d’exaltations fébriles, — qu’elles entraînent et couvrent mille évolutions imprévues et intéressées de la conscience, qu’elles suspendent le cours de la loi morale ordinaire en créant une mêlée indescriptible où tout est possible, où le hasard et la force trop souvent dominent, où nul n’est à sa place, où chacun marche comme en un tourbillon, à la merci des incidens, complice de ce qu’on nomme la fatalité des choses. Que de nains qui cherchent à se hausser à la taille des géans ! que de violences faites à la fortune et au succès ! que d’impuissances dissimulées sous le masque de l’audace ! que de transformations soudaines un seul jour peut éclairer ! Pour peindre ce monde incandescent et mobile, faible et violent, versatile et orgueilleux du lendemain des révolutions, ce n’est pas la critique ordinaire qui pourrait suffire. À défaut du burin d’un Tacite, il faudrait la verve libre et directe d’un Aristophane, la profondeur comique d’un Molière, la hauteur méprisante d’un Machiavel, — quelque chose, enfin, qui semble, hélas ! ne point exister parmi nous, et dont l’absence fait qu’on va battre des mains à quelque grotesque et inférieure parodie des folies contemporaines.

Dans le domaine plus spécialement littéraire, ce qu’on voit, c’est cette universelle commotion se traduisant par la déviation des esprits, par l’excès des imaginations faussées, par l’inconsistance passionnée des vocations intellectuelles, par l’asservissement de l’inspiration aux accidens et aux surprises de chaque jour, d’où il résulte un infaillible amoindrissement du talent. La notion pure de l’art se corrompt dans cette atmosphère, la pensée s’altère et s’égare, le langage se surcharge des vapeurs grossières qui se dégagent du sol embrasé ; les qualités les plus excellentes, les plus fines, les plus délicates, semblent perdre de leur prix ; le sentiment littéraire fait place à mille autres calculs, sans compter encore les étranges caprices de la fortune, qui se plaît parfois, sans doute pour ajouter à la confusion, à transformer les faiseurs de mélodrames en législateurs, les faiseurs d’almanachs en docteurs politiques, les feuilletonistes sur le retour en prophètes de quelque foi nouvelle. Si donc, sous l’empire de ces influences contagieuses, il reste encore parmi nous des esprits élevés et vigoureux qui sachent se retrancher dans le culte d’un art supérieur et garder dans leur solitude