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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/568

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sans un véritable attendrissement, tant il y a d’éloquence et de persuasion dans la vérité qui éclate à chaque ligne. L’art ne joue aucun rôle dans ces naïfs épanchemens ; c’est un cœur droit qui dit simplement ce qu’il sent, et l’absence même de l’art donne à ces deux lettres une valeur, un attrait que l’art nous offre bien rarement.

Adrienne se piquait-elle de fidélité ? D’après le témoignage de ses contemporains, elle prenait toutes ses affections au sérieux ; elle ne changeait pas pour le plaisir seul de changer ; elle ne cherchait pas dans l’inconstance un sujet de triomphe. Pour qu’elle se décidât à reprendre son cœur, à disposer d’elle-même comme d’un bien libre de tout engagement, il fallait qu’elle fût pleinement convaincue de l’infidélité de son amant. Aussi ceux mêmes qui l’avaient quittée se rattachaient à elle par un tendre souvenir. Au milieu même des plaisirs nouveaux qu’ils poursuivaient, ils gardaient au fond du cœur la touchante image d’Adrienne. Parmi les hommes qu’elle aima, Maurice de Saxe est peut-être celui à qui elle dut ses plus grandes joies et ses plus grandes douleurs. Son attachement pour Maurice présente tous les caractères de la passion la plus exaltée. Tendresse, dévouement, abnégation, tout se trouve réuni dans l’amour d’Adrienne pour le jeune guerrier qui devait, quinze ans après la mort de sa maîtresse, gagner la bataille de Fontenoy. On sait qu’Adrienne mit en gage ses bijoux et sa vaisselle plate pour envoyer 40,000 livres à son amant élu duc de Courlande. Chose triste à dire, et qui malheureusement se vérifie chaque jour sous nos yeux, la passion d’Adrienne pour Maurice était d’autant plus vive, d’autant plus profonde, qu’elle s’adressait à un homme incapable de la récompenser dignement, pour qui l’amour n’était qu’un plaisir, un passe-temps de quelques heures. Plus d’une fois Adrienne vit Maurice la quitter pour des femmes qui n’avaient ni l’éclat de sa beauté, ni la noblesse de son cœur ; mais, comme il est dans notre destinée de nous attacher aux créatures que nous aimons bien plus encore par les bienfaits qu’elles nous doivent que par les bienfaits que nous en avons reçus, elle dévorait sa douleur et lui pardonnait généreusement. On a dit que les nombreuses infidélités de Maurice avaient abrégé la vie d’Adrienne, et qu’elle était morte de chagrin. Cette assertion ne repose sur aucun témoignage de quelque valeur. On a dit aussi qu’elle avait été empoisonnée par une de ses rivales ; or, il est avéré que son corps, ouvert après sa mort, ne présentait aucune trace de poison. Adrienne est morte après douze ans de triomphes éclatans ; si elle a souffert pour avoir trop aimé, si plus d’une fois elle a gémi sur l’inconstance de l’homme qu’elle chérissait de toutes les forces de son ame, la gloire l’a consolée plus d’une fois ; l’énergie même, la sincérité qu’elle apportait dans tous ses rôles, suffisaient pour abréger sa vie. Elle avait senti trop vivement toutes les grandes passions pour atteindre à la vieillesse. Quand elle mourut, elle n’avait pas quarante ans.