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Quoique Adrienne remplît à la fois les premiers rôles tragiques et les premiers rôles comiques, et qu’elle n’ait jamais échoué dans aucune de ses tentatives, il paraît cependant qu’elle excellait surtout dans les rôles tragiques ; Pauline, Roxane et Cornélie lui allaient mieux que Célimène. Il est permis de croire que le commerce familier de Molière n’a pas été inutile au talent d’Adrienne. Le souvenir de Célimène devait donner à Pauline, à Cornélie, à Roxane un accent plus naturel, plus pénétrant. Talma, comme Adrienne, étudiait Molière assidûment. Quoiqu’il n’ait jamais osé aborder publiquement les rôles d’Alceste et d’Arnolphe, on sait qu’il s’était occupé de la composition de ces deux personnages.

Faut-il s’étonner qu’une femme habituée à vivre parmi les grands hommes de l’antiquité se soit sentie entraînée, par une passion toute-puissante, vers l’émule de Charles XII, vers le jeune capitaine qui renouvelait à Mittau, comme en se jouant, l’héroïque défense de Bender ? Ces deux ames familiarisées avec les grandes choses, l’une par la pensée, l’autre par l’action, ne devaient-elles pas se rencontrer dans une mutuelle admiration ? Rien, à coup sûr, n’est plus naturel, plus facile à comprendre que les amours de Maurice et d’Adrienne. Toutefois, si le comte de Saxe, par le nombre et la variété de ses exploits, par la précocité de sa valeur, semble appartenir au roman plus qu’à la vie réelle, la manière dont il entendait, dont il gouvernait l’amour n’a rien de poétique. Il n’a jamais eu la peine de résister à ses passions, ou plutôt il n’en a jamais connu, écouté qu’une seule, la passion de la gloire. La guerre, avec ses dangers, ses enivremens, a rempli toute sa vie. Les femmes les plus belles, les plus jeunes, les plus dignes d’amour, ne l’ont pas distrait un, seul jour de sa passion pour les batailles. Depuis Adrienne Lecouvreur jusqu’à la duchesse de Courlande, qui plus tard fut impératrice, depuis les filles d’honneur de la duchesse jusqu’aux plus grandes dames de Versailles, il n’a jamais vu dans la beauté, dans la jeunesse, dans la pleine possession de ces dons précieux, qu’une distraction de quelques instans. Aussi ne s’est-il jamais montré bien scrupuleux dans le choix de ses plaisirs. Non-seulement il s’abandonnait à l’inconstance, sans jamais se reprocher la douleur qu’il laissait derrière lui ; mais il ne rougissait pas de feindre pour une femme qui pouvait le servir un amour qu’il ne ressentait pas ; et d’offrir à celle qu’il chérissait pour quelques jours les caresses qu’il avait flétries par le mensonge. Pour caractériser nettement toute la souplesse de ses principes à cet égard, il suffit de rappeler l’aventure ridicule qui le brouilla sans retour avec la duchesse de Courlande. Arrêté au milieu de la nuit par une duègne armée d’une lanterne, au moment où il portait sur ses épaules une des filles d’honneur de la duchesse, il voulut, sans quitter son fardeau, renverser du pied la lumière accusatrice, perdit l’équilibre, et tomba sur la duègne avec sa maîtresse. Or, la veille même de cette ridicule aventure, il avait joué près de