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Elle accable sa rivale en lui lançant comme autant de traits empoisonnés chacune des paroles de cet admirable morceau. Elle n’est pas une de ces femmes hardies

Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.


La duchesse, comme pour justifier l’application, sourit gracieusement et joint ses complimens à ceux de l’assemblée : Adrienne est perdue.

Au cinquième acte, nous sommes chez Adrienne. Michonnet, témoin de l’humiliation de la duchesse, comprend que la vie d’Adrienne est menacée. Un valet apporte une cassette de la part de Maurice. Adrienne l’ouvre d’une main tremblante et reconnaît le bouquet qu’elle a donné à Maurice ; elle voit dans ces fleurs ainsi renvoyées un signe d’abandon, et les couvre de baisers et de larmes. Avant de les jeter au feu, elle leur adresse quelques paroles empreintes d’un sentiment vrai, mais dont la forme gagnerait beaucoup à devenir plus simple, et les respire une dernière fois. Ce dernier baiser est son arrêt de mort. Ce bouquet empoisonné a vengé la duchesse. Maurice arrive pour recevoir le dernier soupir d’Adrienne. Vainement il essaie de la sauver, de ranimer ses forces en lui rendant le bonheur qu’elle croyait perdu sans retour. Toutes ses paroles de tendresse sont impuissantes ; le poison circule dans les veines d’Adrienne, qui meurt en récitant d’une voix égarée quelques lambeaux du rôle d’Hermione.

Il y a certainement une grande habileté dans la construction de ce drame ; mais cette habileté est de telle nature qu’elle se passe de la poésie, et même réussit à la rendre parfaitement inutile. Les ressorts employés par MM. Scribe et Legouvé suffiraient au développement d’une douzaine d’actions ; et ces ressorts sont mis en œuvre avec tant d’adresse, les incidens s’engendrent si rapidement, que la foule, livrée tout entière à la curiosité, ne songe pas à se demander la valeur réelle des personnages. Plusieurs scènes sont écrites avec un soin que nous ne sommes pas habitué à rencontrer dans les ouvrages de M. Scribe. Mais le caractère dominant de toute cette composition, c’est l’habileté extérieure poussée à ses dernières limites. Dans ce drame, où la poésie joue un si petit rôle, où les grandes pensées, les sentimens passionnés ne se montrent guère que sous la forme de souvenirs, et se placent sous le patronage de Corneille et de Racine, il n’y a pas une phrase, pas un mot inutile. Le dénoûment est préparé dès le premier acte, et si bien préparé, que les esprits exercés n’ont plus rien à deviner quand le rideau tombe sur la cassette mystérieuse. La clé donnée au second acte par le duc est, à proprement parler, tout le troisième acte ; car, sans cette clé, le troisième acte serait impossible. Les paroles échangées dans l’ombre entre Adrienne et la duchesse contiennent le germe du quatrième