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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/581

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le trouble que lui inspire un rêve qu’il a fait depuis quelques jours. Sous les arceaux d’un temple magnifique et le front orné du bandeau royal, il a cru voir à ses pieds les peuples prosternés qui l’adoraient comme un nouveau Messie. Plongé dans cette bizarre extase, il a lu sur une table de marbre ces mots terribles : Malheur à toi ! et un fleuve de sang est venu bientôt submerger son trône éphémère. « Calme-toi, répondent les trois anabaptistes, le songe qui trouble ta raison est la révélation prophétique de ta grandeur future : tu régneras. »

Les trois anabaptistes ont à peine quitté la scène, que Berthe se précipite dans la maison de son fiancé, pâle et échevelée. Derrière elle accourt un sergent d’armes du comte d’Oberthal, suivi de soldats, qui vient réclamer impérieusement la captive de son maître. Jean, désespéré, livre sa fiancée pour sauver les jours de sa mère, que les soldats du comte menacent de frapper sous ses yeux. Fidès se retire après avoir béni son fils, et Jean, resté seul en proie à sa douleur, entend retentir au dehors la voix lugubre des trois anabaptistes, qu’il fait entrer dans son auberge. « Ne m’avez-vous pas dit : Suis-nous, et tu règneras ? — Oui, et nous t’offrons une couronne. — Pourrai-je alors frapper mes ennemis ? pourrai-je immoler le comte d’Oberthal ? — Ce soir même. — Eh bien ! marchons, » dit-il, après avoir hésité long-temps entre le regret d’abandonner sa vieille mère et le désir de venger sa fiancée.

Le troisième acte est une suite d’épisodes dont l’analyse est intimement liée à l’analyse de la partition même : l’action se résume, pour ainsi dire, tout entière dans le finale de cet acte. À la tête d’une armée d’anabaptistes, Jean assiége et prend la ville de Munster, après avoir fait prisonnier le comte d’Oberthal, qui lui apprend que Berthe a sauvé son honneur par la fuite. Le quatrième acte nous fait assister au couronnement du prophète proclamé fils de Dieu dans la cathédrale de Munster, où il retrouve sa mère, qu’il est forcé de méconnaître pour se sauver encore une fois des poignards des trois anabaptistes. Cette scène, très longue et très compliquée, est incontestablement la plus belle et la plus dramatique de l’ouvrage. Au cinquième acte enfin, Jean revoit sa mère et sa fiancée. Fidès lui pardonne ses fautes en lui faisant espérer la clémence du Seigneur ; mais Berthe, en apprenant que le faux prophète dont elle exècre les crimes et l’impiété est ce Jean qu’elle a tant aimé, se tue de désespoir. Jean, qui se voit trahi et abandonné de tout le monde, fait miner le château de Munster et s’ensevelit sous ses ruines le verre à la main et le sourire sur les lèvres.

Le libretto de M. Scribe ne reproduit pas, on le voit, très scrupuleusement la donnée de l’histoire. C’est le droit du poète dramatique de modifier, de grouper à son gré les faits qu’il emprunte à la réalité, pourvu que sa fable soit vraisemblable, intéressante et appropriée au