Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Anjou et il Crocciato, sont bien moins, selon nous, les manifestations d’une manière parfaitement caractérisée que les préludes d’un grand artiste qui cherche sa voie. Toutefois les morceaux remarquables qu’on trouve dans les opéras allemands et italiens de M. Meyerbeer contiennent déjà le germe de ce style vigoureux, savant et compliqué, dont Robert-le-Diable et les Huguenots sont les monumens immortels.

Comme son condisciple Charles-Marie de Weber, M. Meyerbeer est arrivé tard et après de longs détours à la conscience : de sa personnalité. Esprit pénétrant, plein de sagacité et de profondeur, M. Meyerbeer ne participe ni aux avantages ni aux infirmités de ces natures spontanées qui rayonnent comme la lumière, prodiguant, sans mesure et sans souci du lendemain, le parfum de la jeunesse et l’héritage paternel. Philosophe et penseur, l’idée ne s’élabore en lui que lentement et sous l’œil de la raison, et, lorsqu’il consent à lui ouvrir les portes de la vie, c’est qu’il est à peu près sûr qu’elle y fera glorieusement son chemin. M. Meyerbeer ne livre rien au hasard, il prévoit tout ce qu’il lui est possible de prévoir, il combine savamment tous ses effets, dont il fixe les moindres nuances. Ses partitions sont remplies de notes explicatives, de remarques ingénieuses, qui accusent la préoccupation de son esprit vigilant et sa profonde connaissance de la stratégie dramatique. Homme du Nord, nourri dès sa plus tendre enfance de la forte harmonie des Bach, dont il reproduit parfois l’âpreté sauvage, l’oreille habituée aux sonorités complexes de l’instrumentation allemande, M. Meyerbeer est un esprit positif qui excelle à peindre les éclats de la passion humaine dans un milieu bien défini. Les plaintes de l’amour dans sa divine innocence, les extases de la rêverie, les sanglots de la mélancolie, l’es élans de la prière sans un culte arrêté, toutes ces manifestations spontanées et lyriques de notre ame ne trouveraient peut-être pas dans l’auteur de Robert-le-Diable un interprète suffisamment fidèle ; mais que ces mêmes sentimens éclatent et soient encadrés dans un ordre social qui les froisse et en comprime l’essor, M. Meyerbeer écrira le quatrième acte des Huguenots, l’une des grandes pages, de musique dramatique qui existent. Cette vive intelligence du jeu des passions dans la réalité de la vie, cet art merveilleux d’en combiner les effets par des masses chorales et instrumentales, ces sentimens vrais et profonds qui jaillissent du choc des péripéties comme jaillit l’étincelle du frottement des corps, enfin cette faculté suprême de créer des types qui vivent dans l’histoire comme des créatures de Dieu, telles sont les qualités éminentes qui distinguent l’illustre auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots. Retrouve-t-on dans la nouvelle partition qu’il vient de produire la même individualité puissante que nous connaissons déjà, ou bien nous a-t-il révélé un côté encore inaperçu de son talent sévère et complexe ?

M. Meyerbeer a traité le Prophète avec la même rigueur que les Hutguenots