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nacée. Les anarchistes le savent bien ; aussi c’est vers l’armée qu’ils dirigent leurs calomnies ou leurs flatteries, selon qu’ils espèrent l’intimider ou la séduire. Que ne font-ils pas pour ébranler ce dernier rempart de l’ordre social ? Tantôt ils annoncent une réunion des électeurs de l’armée ; ils auront plus de deux mille sous-officiers et soldats ; ils en ont quarante à peine. Ne pouvant pas pervertir l’armée dans sa base, ils essaient de la démanteler par en haut. De là les attaques dirigées contre le général Changarnier. On ne veut pas qu’il puisse commander à la fois l’armée de Paris et la garde nationale ; on veut diviser le faisceau dont le général Changarnier tient le lien dans sa main ferme et résolue ; on ne veut rien céder des pointilleries de la loi à la nécessité des temps ; on ne veut rien accorder non plus au libéralisme éclairé des chefs de notre armée. Nous devrions, en effet, nous féliciter mille fois de la bonne fortune que nous avons d’avoir des chefs militaires qui ont le goût et l’habitude de l’ordre légal. Ce goût ne se prend pas ordinairement dans les camps ; mais c’est le privilège de cette armée formée sous la monarchie, constitutionnelle qu’elle a les mœurs libérales et éclairées de cette monarchie. Elle n’aime dans la force que l’aide que la force peut donner à l’ordre. Cela est visible, surtout dans ses principaux chefs, dans le maréchal Bugeaud, dans le général Changarnier, dans le général Cavaignac, dans le général Bedeau, dans le général de Lamoricière. C’est une bonne fortune que des généraux qui aiment et qui respectent la tribune. Nous devrions donc tempérer quelque peu les formalités de la loi en face de pareils défenseurs de la loi ; nous devrions préférer l’esprit à la lettre ; mais ne voilà-t-il pas que nous prêchons naïvement les formalistes de la montagne, comme si, pour eux, les chicanes constitutionnelles n’étaient pas, comme tout le reste, une arme de guerre ?

Nous sommes persuadés d’ailleurs que l’armée ne leur déplaît pas seulement à cause de ses chefs et à cause de son bon esprit, elle leur déplaît comme institution. L’armée, en effet, est comme le dernier abri de la hiérarchie. C’est là seulement que l’on sait encore obéir et commander ; c’est là seulement que l’obéissance se relève par l’honneur militaire, et que le, commandement n’a rien de personnel et d’égoïste, parce qu’il s’exerce aussi au nom de l’honneur. Il est dur et absolu, mais il est respectable, parce qu’il procède d’un grand devoir patriotique que les généraux et les soldats ont à accomplir en commun. Voilà le principe moral de l’armée, voilà les dogmes de la religion du drapeau. Comment cette religion pourrait-elle plaire aux anarchistes ? Au lieu d’exciter l’envie et la colère, ces éternelles ressources de l’anarchie, la religion du drapeau les soumet au joug de l’honneur et de la discipline. Nulle part ailleurs on ne comprend aussi bien que dans l’armée la nécessité de l’ordre, et comment, pour s’appuyer les uns sur les autres, c’est-à-dire pour faire une société, il faut une règle et un chef. Un régiment est un phalanstère où chacun a son emploi et son office. Seulement, au lieu d’être fondé sur le principe de la jouissance, le régiment est fondé sur l’obéissance au nom du devoir, et c’est pour cela que le régiment vit et agit, tandis que le phalanstère ne pourra jamais vivre un jour, à moins qu’il ne plaise au bon Dieu de changer la nature humaine et de révoquer la loi du travail qu’il lui a imposée.

Pendant que l’armée à Paris résiste loyalement aux suggestions de l’anarchie, à Lyon, l’armée qui est placée sous le commandement du maréchal Bugeaud