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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/604

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laquelle prétendait chacun des peuples de l’empire. Un cri s’éleva donc de toutes les provinces ; cette charte était un oukase. Le mot est resté. Les fautes stratégiques du prince Windischgraetz, ce refus de fortifier la Theiss et la Transylvanie en s’appuyant sur les Serbes et les Valaques, ce retrait de la parole donnée à Jellachich, ces menaces d’un bombardement d’Agram, cette charte-oukase qui centralisait au lieu de confédérer, ce complet changement d’attitude et de langage de la part de l’Autriche, présentaient aux Magyars une merveilleuse occasion de relever leur fortune si follement jouée jusqu’alors.

Auraient-ils assez de prudence pour en profiter ? En un mot, seraient-ils assez avisés, même après la rude leçon des événemens, pour consentir au partage de la Hongrie en autant d’états libres qu’elle contient de races, pour prendre leur parti de cette dissolution du royaume hâtée par la politique de M. Kossuth ? Ceux qui connaissent M. Kossuth et les traditions magyares n’osaient répondre affirmativement. Toutefois de nouveaux personnages étaient entrés en scène et allaient saisir avec vigueur le rôle qui s’offrait au dictateur de Debreczin. Au moment où M. Kossuth se trouvait rejeté par-delà la Theiss, Bem et Dembinski voulurent, si difficile que fût la tâche, profiter des fautes du cabinet de Vienne et de son général en chef pour tenter avec des élémens nouveaux la réorganisation de l’armée hongroise. La Theiss était difficile à franchir en hiver pour l’infanterie et l’artillerie autrichienne, tandis que la cavalerie des Magyars et leur infanterie à cheval, admirablement propres aux surprises, pouvaient se maintenir encore long-temps par un système de guerillas. Bem se chargea d’essayer ce système dans les montagnes de la Transylvanie pendant que Dembinski défendait le passage de la Theiss. Ils comptaient principalement, pour reconstituer une armée, sur l’effet de ces idées de conciliation qu’ils étaient venus prêcher aux diverses populations de la Hongrie. Bem la pratiquait avec une heureuse énergie à l’égard des Valaques dont l’immense majorité, mal défendue par les troupes autrichiennes, l’accueillait avec faveur et dont un bon nombre se rangeait sous son drapeau. Dembinski avait quitté Paris à la condition stipulée avec l’agent de la Hongrie que les Magyars se résigneraient à conclure avec les Slaves un traité qui garantirait à ceux-ci leurs libertés locales et leur nationalité. Enfin, les deux généraux slaves obtinrent que l’armée magyare prît le nom d’armée magyaro-slave. Ainsi, pendant que M. de Windischgraetz s’absorbait dans l’application grammaticale et pédantesque de sa loi martiale et que le cabinet s’étudiait à réprimer le rapide élan de l’influence slave, les deux chefs polonais, appuyés d’ailleurs sur le concours de dix mille compatriotes accourus de Galicie et de Russie, exploitaient avec une infatigable ardeur les mécontentemens causés, en pays slave, par la dernière évolution de la politique autrichienne. De là les succès de Bem en Transylvanie contre la faible division de Püchner ; de là la facilité avec laquelle Dembinski a pu se remuer et se reconstituer sur la rive gauche de la Theiss ; de là ce revirement d’opinion qui a entraîné tant de Slaves dans la cause magyare, et singulièrement refroidi le dévouement des autres pour l’Autriche ; de là enfin ces brillantes excursions de cavalerie qui viennent de ramener en ligne l’armée hongroise, et de réduire l’armée autrichienne à la défensive.

La Russie attend l’arme au bras le résultat de cette campagne ; peut-être n’est-elle point aussi pressée d’intervenir que l’opinion est portée à le supposer.