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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/626

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guées aux voyageurs par l’hospitalité sauvage, et laissa son camarade se tirer d’affaire comme il pourrait. Melville resté seul s’ennuyait fort. Les chants poétiques de miss Fayaway et les beautés du paysage polynésien ne lui suffisaient plus. On le fit assister, pour le distraire, à la grande fête des Calebasses.


« J’étais, dit-il, tout-à-fait curieux de savoir ce que pouvait signifier un pas de ballet exécuté par six vieilles, femmes aux bras pendans, ballet dansé à l’ombre des grands arbres sans que personne y fit attention. Ces danseuses, parvenues à un âge fort avancé, ne portaient aucun vêtement ; tenant leurs bras collés des deux côtés de leurs corps comme des statues égyptiennes, elles sautaient en l’air à des intervalles assez rapprochés, parfaitement raides et semblables à des bâtons que l’on veut faire entrer dans l’eau et qui en ressortent. D’ailleurs, elles restaient graves, solennelles et silencieuses. Les soubresauts périodiques de ces six bâtons noirs qui se soulevaient comme par ressort me furent expliqués par le savant Kori-Kori. Les vieilles danseuses étaient des veuves ; n’ayant plus d’appui sur la terre depuis que leurs maris avaient été tués dans le combat, elles se trouvaient légères, privées de solidité, choses flottantes et dansantes ; triste conviction qu’elles exprimaient symboliquement par le ballet auquel j’avais l’honneur d’assister. »


Il y a une idée juste au fond de ces récits amusans qui semblent humoristiques et de fantaisie ; c’est le germe de civilisation que contiennent les coutumes les plus barbares et que M. Melville en dégage avec un mélange d’ironie et de sentiment pittoresque qui fait le charme de son livre.


« J’avais baptisé du nom de miss Fayaway, dit-il, un petit lac délicieux sur lequel nous naviguions ensemble. Un jour elle me conduisit au mausolée d’un chef célèbre, construit au fond d’une petite baie dans une situation très isolée. Les longues colonnes des palmiers de la rive se balançaient avec majesté, jetant dans le temple funèbre leurs ombres portées qui vacillaient tristement. Pas un murmure, seulement le doux bruissement du flot sur le gazon et la plainte lente des feuillages qui tremblaient. Comme tous les monumens de quelque importance, le mausolée reposait sur des dalles formant une espèce de cube. C’était un petit pavillon carré dont la toiture en feuilles de palmier s’appuyait sur quatre bambous si minces qu’on avait peine à les distinguer. Un pavé de quelques toises, fait des mêmes dalles oblongues, entourait l’édifice. Aux quatre angles se trouvaient quatre énormes troncs de cocotiers. C’était un lieu sacré. Au centre du monument, élevé sur une petite plate-forme, on voyait, comme amarré et immobile, un canot d’environ sept pieds de long, entouré d’une petite balustrade, et dans lequel, assise à la proue, apparaissait l’effigie d’un guerrier enveloppé d’une longue robe brune ; cette robe ne laissait passer que ses mains et sa tête, sculptées en bois avec beaucoup de soin et même de talent naturel. Un diadème de plumes qui flottaient sur son front, perpétuellement agité par la brise qui pénétrait dans cette solitude, donnait, par son mouvement, une apparence de vie à l’immobilité de la statue. Le canot était d’un bois de couleur sombre, admirablement poli, orné de coquilles de toutes couleurs et entouré