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de ces petits volumes ; mais de quel droit la prédire ? J’aurais l’air d’être le seul. Mieux vaut tout simplement affirmer, avec tous les lecteurs de goût, que le Cours de Littérature dramatique comptera parmi les ouvrages de notre temps qui resteront. Voici pourquoi :

À toutes les époques des sociétés civilisées, il y a deux sources d’inspirations pour les auteurs : l’esprit humain, et le tour d’esprit du temps. Mais ce tour d’esprit n’est-il pas l’esprit humain lui-même modifié d’une certaine façon ? Peut-être. Il n’en est pas moins vrai qu’on attache à ces deux expressions des idées fort différentes.

Quand on parle de l’esprit humain, on entend quelque chose qui ne change pas et qui acquiert incessamment, le foyer actif de toutes les vérités découvertes et exprimées sur l’homme et sur ses rapports avec Dieu et le monde. On a le sentiment d’une ame, d’une émanation immortelle de l’humanité. On parle de la grandeur de, l’esprit humain, quand on le considère dans ces vérités immuables par lesquelles il fait partie de Dieu même ; on ne se plaint de sa faiblesse que par rapport aux bornes que Dieu lui a données.

Par le tour d’esprit du temps, on entend singulièrement quelque chose qui varie sans cesse, des opinions passagères plutôt que des vérités, le convenu plutôt que le vrai, des mouvemens capricieux, des admirations d’un jour, des travers, des modes ; ce qui fait que Fontenelle écrivait des églogues ; que Mascaron citait dans ses sermons Mlle de Scudéry ; que, dans une comédie de Voltaire, la servante Nanine est philosophe et se plaint de trop penser. Le tour d’esprit s’appelle encore l’imagination, de même que l’esprit humain peut s’appeler le cœur humain, la raison. Les appellations sont vagues, mais les choses sont distinctes et certaines. Chacun de nous a en lui, dans le même temps, un abrégé de l’esprit humain et un peu du tour d’esprit de son époque. Ne le voyons-nous pas dans le compte que nous nous rendons de nous-mêmes ? Il est telles pensées, tels sentimens où nous persévérons, auxquels nous revenons après des écarts : c’est la part de l’esprit humain. Il en est d’autres que nous désavouons après y avoir cru avec idolâtrie, souvent après leur avoir immolé notre vraie nature c’est la part du tour d’esprit ; ce sont les ruines de notre imagination.

Parmi les écrivains, — je ne parle que des éminens, — les uns s’inspirent de l’esprit humain, les autres du tour d’esprit du temps. Les premiers ont bien du mérite, car l’esprit humain n’est jamais à la mode ; c’est le tour d’esprit qui règne et qui, dans sa jalousie, essaie de nous le faire confondre avec des préjugés, des habitudes de collége, des traditions bourgeoises, des servitudes qui n’ont que le mérite d’être anciennes. Cependant ces écrivains, soit force, soit sagesse, s’attachent à ce qui est acquis, au connu, pour chercher plus sûrement