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besoin de le dire ? mais cette science qui voit dans nos ténèbres et qui nous apprend à nous-mêmes qui nous sommes.

Les écrivains qu’on lira le plus sont ceux qui auront le plus fait pour la raison. Il faut en prendre son parti. On brille plus, mais on dure moins, quand on écrit pour le tour d’esprit du temps ; on brille moins, mais on dure toujours quand on a mis un beau talent au service de l’esprit humain. Et il est bien juste qu’à l’éblouissement du succès passager il se mêle un peu d’inquiétude, de même qu’à l’obscurité momentanée des travaux durables il se mêle quelque espérance.

De notre temps, et surtout depuis les trente dernières années, les tendances de l’esprit humain en France et, par l’exemple de la France, dans l’Europe civilisée, sont vers la philosophie, l’histoire et la critique, vers la critique surtout. Les plus belles pages philosophiques que nous ayons lues de nos jours sont des jugemens ; sous les plus beaux récits d’histoire, il y a un examen sérieux et laborieux des documens ; sous les tableaux les plus brillans, il y a des témoignages comparés et débattus. On cherche le vrai, on hait la rhétorique. Je ne sache pas que jamais l’exactitude ait été plus en honneur ; les travaux de seconde main sont dédaignés. Les meilleures plumes sont presque plus jalouses du mérite de l’érudition que de la gloire de bien écrire ; c’est un travers, mais ce travers ne prouve que mieux combien la tendance est forte. Il y a, à cet égard, émulation entre les sciences et les lettres. Les lettres entendent bien ne pas laisser aux sciences toute l’autorité ; elles se piquent de devenir aussi rigoureuses en gardant le privilège de plaire, et elles ne veulent pas du vain rôle de distraire les esprits, tandis que la science serait seule en possession de les instruire.

C’est plus qu’une tendance, c’est la nécessité de notre temps. Des deux disciplines sous lesquelles l’esprit humain en France a marché pendant tant de siècles, la foi chrétienne et la royauté, la foi n’est plus qu’un don individuel, la royauté qu’une forme de gouvernement trois fois vaincue en soixante ans. Il ne reste pour toute base à la société que la raison. Aussi tout le monde se porte à son secours. C’est à qui éclaircira, fortifiera, rendra agréables et populaires, par l’art de les présenter, les vérités conservatrices. On étudie plus sévèrement le passé dans ses systèmes, dans ses sentimens, dans ses arts, pour arriver à une connaissance plus parfaite de la nature humaine et assurer de plus en plus la raison, notre dernier guide. Les talens même que des ouvrages d’imagination ont rendus célèbres recherchent les succès du savoir et de l’utile. Ils pensent qu’ils ont fait assez pour l’imagination, et qu’après nous avoir amusés, émus, troublés peut-être par des peintures complaisantes de nos passions, il est temps qu’ils mettent leur popularité au service de l’ordre, du devoir, de la raison. L’utile dans le relevé, voilà par où veulent finir les écrivains éminens.